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LA PHARSALE.


tombe dans le Tibre, grossit ses eaux captives, et le fleuve, ne se contenant plus dans son lit ni dans ses rives, rejette dans la plaine ces restes humains. Enfin après une longue lutte, le Tibre plonge dans la mer de Thyrrène et traverse les vagues d’azur d’un long sillon de sang. Est-ce donc ainsi que tu as mérité les titres d’Heureux et de Sauveur, ô Sylla ! et le sépulcre que tu t’es fait bâtir au milieu du Champ-de-Mars ?

« Voilà ce que nous aurons encore à souffrir : tel sera le cours de cette guerre, telle sera la fin des discordes civiles. Mais tout justifie de plus grandes craintes : la lutte qui commence menace de plus grands périls l’univers entier. Marius exilé ne demandait à la guerre que de lui rouvrir les portes de Rome ; Sylla n’obtint de sa victoire que le massacre de ses ennemis abhorrés. César, Pompée, la Fortune vous appelle à d’autres crimes. Depuis longtemps votre puissance rivale est aux prises. Ni l’un ni l’autre vous ne suscitez la guerre civile pour vous contenter de si peu que Sylla.

Ainsi gémit la vieillesse consternée qui se rappelle le passé et redoute l’avenir. Cependant la terreur ne peut toucher la grande âme de Brutus : au milieu de cette désolation craintive et turbulente, Brutus n’est pas de la foule qui pleure. Mais dans le silence de la nuit, tandis que l’Arcadienne Hélice[1] roule son char autour du pôle, il vient frapper à la porte modeste de Caton. L’oncle de Brutus ne donnait pas : le souci de la chose publique, le destin de la patrie tourmentait ce grand homme, craignant pour tous, tranquille pour lui-même. Brutus lui dit :

« Ô toi ! l’unique refuge de la vertu proscrite et chassée de la terre, que les orages de la fortune ne t’arracheront jamais, Caton, rassure mon âme ébranlée ; je chancelle, sou» tiens-moi de ton solide appui. Que d’autres suivent les drapeaux de César et de Pompée, Caton seul guidera Brutus. Inébranlable au milieu des secousses du monde, est-ce la paix que tu choisis ? Aimes-tu mieux, associé au crime des chefs, aux malheurs d’un peuple en délire, absoudre la guerre civile ? Chacun dans cette lutte coupable ne prend les armes que pour sa propre cause. L’un a souillé son nom et craint les lois qui punissent pendant la paix ; l’autre a besoin de fuir la faim par le fer et d’ensevelir sa ruine sous la ruine du monde. Ce n’est pas l’audace qui les pousse aux combats ; tous viennent au camp, séduits par un grand espoir. Toi seul chercheras-tu la guerre pour la guerre ? Te seras-tu donc vainement conservé pur, tant d’années, dans cet âge de corruption ? Voilà tout le fruit de cette vertu constante : la guerre, qui les recevra coupables, te fera coupable 1 Dieux ! ne permettez pas que le fer sacrilége souille aussi la main de Caton, et qu’un dard

  1. La grande Ourse.