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LUCAIN.


lancé par ce bras se mêle dans le nuage épais des javelots ! Ne perdez pas une si haute vertu ! Toute la fortune de la guerre se déchargera sur toi. Qui ne voudra mourir par ton glaive, et, tombant sous les coups d’un autre, ne l’appellera pas son meurtrier ? Tu ferais mieux, loin des armes, de couler des jours tranquilles el solitaires, comme ces astres célestes qui roulent inébranlables dans leur sphère éternelle : la foudre embrase l’air voisin du sol ; sur la terre descendent les vents et les sillons de l’éclair étincelant : l’Olympe s’élève au-dessus des orages ; telle est la loi des dieux. Si la discorde porte le trouble au sein des moindres choses, les grandes se reposent dans la paix.

Quelle joie pour César, d’apprendre qu’un citoyen tel que toi a pris les armes. Car il ne se plaindra pas de le voir choisir l’étendard de Pompée, son rival ; Caton se déclare assez pour lui, s’il se déclare pour la guerre civile. Déjà la plupart des sénateurs, le consul qui va servir sous un chef sans titre, et le reste des patriciens, sppeilent cette guerre de tous leurs vœux : qu’on voie encore Caton sous le joug de Pompée, et, dans l’univers entier, César seul sera libre. Si tu veux combattre pour les lois de la patrie et défendre la liberté, Di utus n’est plus l’ennemi de César ou de Pompée ; après la guerre, tu me trouveras ennemi du vainqueur. »

Ainsi parle Brutus, et du sein de Caton, comme d’un sanctuaire, sortent ces paroles sacrées.

Oui, Brutus, je l’avoue, la guerre civile est le plus grand des maux. Mais ma vertu marche sans crainte où le destin l’entraîne. Ce sera le crime des dieux, si moi-même ils me font coupable. Et qui pourrait sans avoir quelque crainte, voir s’écrouler les astres et l’univers ? quand les hauteurs du ciel se précipitent, quand la terre s’affaisse, quand les mondes se heurtent et se confondent, qui se tiendrait les bras croisés ? Des nations inconnues s’engageront dans la querelle latine : des rois nés sous d’autres étoiles, et que l’Océan sépare de nous, viendront suivre nos aigles ; et moi seul je vivrais en paix ! Dieux ! loin de moi ce délire. Quoi ! la chute de Rome ébranlerait le Dace et le Gèle, sans m’alarmer ! un père, à qui la mort vient de ravir ses fils, entraîné par sa douleur, suit jusqu’au sépulcre le long cortége des funérailles. Il aime à élever de sa propre main le bûcher, à tenir les torches funéraires qui vont y mettre le feu : ainsi, Rome, on ne pourra l’arrachera moi avant que je n’aie embrassé ton cadavre, avant que je ne l’aie conduite à la tombe, liberté sainte, désormais ombre vaine. Eh bien ! que les dieux cruels prennent toutes les victimes qu’ils demandent à Rome : je ne veux pas leur dérober un goutte de sang. Divinités du ciel et de l’Erèbe, ah ! que n’ac-