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LUCAIN.


campagnes ; éveille les rois de Phare, et Tigrane, mon client. N’oublie pas Pharnace, ni les peuplades criantes de l’une et de l’autre Arménie, ni les barbares nations de l’Euxin, ni les monts Riphées, ni le Palus-Méotide dont l’onde paresseuse et glacée porte le chariot du Scythe vagabond. Pourquoi t’en dire plus ? Sème pour moi la guerre dans tout l’Orient ; agite toutes les villes que j’ai soumises : que mes triomphes viennent grossir mon camp. Et vous qui signez de vos noms les fastes[1] de Rome, que le premier souffle de Borée vous porte en Épire ; allez ramasser de nouvelles forces dans les champs de la Grèce et de la Macédoine, tandis que l’hiver nous laisse un instant respirer. » Il dit ; tous obéissent à ses ordres et détachent du rivage les creuses carènes.

Mais, toujours impatient de la paix et du long repos des armes, craignant les retours du sort, César poursuit et presse son gendre. Pour d’autres, ce serait assez que tant de villes enlevées d’une première course, tant d’ennemis battus, tant de citadelles forcées, et Rome, la tête du monde, le plus grand prix de la guerre, ouvrant ses portes au vainqueur. Mais l’ardent César, qui croit que rien n’est fait s’il reste quelque chose à faire, s’acharne sur les pas de l’ennemi. Il est maître de toute l’Italie ; à peine une lisière de ses rives sert-elle d’asile à Pompée ; et César s’afflige, comme s’il la partageait avec lui. Il veut lui défendre d’errer librement sur les mers, et ferme le port avec une digue de pierres lancées dans les vastes flots. Immenses et vains efforts ! L’Océan vorace engloutit les pierres et mêle les montagnes au sable de ses profondeurs. Ainsi la haute crète de l’Eryx, précipitée dans les abîmes de la mer Egée, ne laisserait apparaître aucune de ses roches au-dessus des vagues ; ainsi le sommet ébranlé du Gaurus tomberait enseveli dans les noirs gouffres de l’Averne. César voit sa digue entrainée par le torrent : alors il ordonne d’unir par des liens les forêts abattues, et d’enchaîner au loi(j les troncs d’arbres dans d’immenses réseaux de fer. La tradition raconte que Xerxès se construisit sur les ondes un pareil chemin : un pont audacieux joignit l’Europe à l’Asie, Sestos à Abydos ; et sans craindre l’Eurus et le Zéphire, Xerxès marcha sur le détroit du rapide Hellespont, tandis que la voile de ses navires traversait le mont Aihos. Ainsi des forêts abattues rétrécissent l’embouchure du port. Sur cette large base le rempart s’élève, et des tours prolongent sur les eaux leurs ombres vacillantes. Pompée voyant le port fermé par une terre nouvelle, dévoré de cruelles inquiétudes, chercha à se rouvrir l’Océan pour disperser la guerre sur sa vaste étendue. Des radeaux poussés par le Notus, les cordages tendus, battent à coups redoublés la barrière, précipitent

  1. Les consuls.