Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/108

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telles. Ah ! ne sont-elles pas bien éloignées de la nature céleste, bien indignes de figurer parmi les dieux, ces masses qui offrent plutôt l’image d’une vie morte et insensible ?

Car il est impossible d’admettre que l’âme et l’intelligence s’accommodent d’habiter un corps quelconque. (5, 129) De même qu’il ne peut y avoir un arbre dans l’air, un nuage dans les flots salés, un poisson vivant au sein des campagnes, du sang dans les veines du bois, ou des sucs dans la pierre, mais que tout a un lieu distinct et fixe pour séjourner et croître : de même la Nature ne peut enfanter un esprit sans corps, un esprit pur, qui existe loin du sang et des veines. Car, autrement, ces essences libres habiteraient indistinctement la tête, les épaules, le talon, et auraient coutume de naître dans un endroit quelconque, plutôt que de rester au fond du même corps, du même vase. (5, 139) Mais si, dans ton propre corps, il est évident et sûr que des lois invariables fixent un lieu où existent et croissent séparément ton esprit et ton âme, à plus forte raison nieras-tu que leur assemblage puisse subsister loin du corps et de toute forme vivante, dans la poussière des glèbes, dans les feux du soleil, dans l’onde, dans les hautes campagnes des airs. Possèdent-elles donc une sensibilité divine, ces matières incapables même de recevoir les tressaillements de la vie ?

Il n’est rien, non plus, qui autorise à croire que les saintes demeures des immortels se trouvent dans une partie du monde. Ces dieux, natures fines, et loin de la portée (5, 150) de nos sens, à peine nos intelligences les entrevoient-elles. Or, échappant au contact et à la rencontre des mains, ils ne peuvent rien toucher qui nous soit perceptible ; car les êtres impalpables ne touchent point eux-mêmes. Ainsi leur demeure sera tout autre que les demeures humaines, et subtile comme leur essence. Je te le prouverai, dans la suite, par de larges développements [156].

Dire que les immortels ont voulu disposer pour les hommes cette belle nature du monde, qu’il faut par conséquent y admirer l’admirable ouvrage d’une main divine, (5, 160) et la croire éternelle, impérissable ; crier à l’attentat contre tout effort qui ébranle dans ses fondements ce que l’antique sagesse des dieux a établi jusqu’à la fin des âges pour les races humaines, et contre toute parole qui le tourmente, qui le bouleverse de fond en comble ; imaginer enfin et répandre toutes les fables de ce genre, Memmius, est une folie. Quoi ! notre reconnaissance procure-t-elle donc à ces âmes bienheureuses et immortelles de grands avantages, qui les excitent à travailler pour le compte des hommes ? Quel attrait nouveau a pu inspirer si tard à ces existences si paisibles (5, 170) le désir de quelque changement ? Ceux-là doivent aimer une position nouvelle, que leur ancien sort incommode ; mais des êtres à qui le temps passé n’a fait aucune blessure dans le cours d’une vie florissante, quel besoin eût allumé en eux cette passion de la