Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/109

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nouveauté ? Est-ce que, par hasard, leur existence languissait dans les ténèbres et l’abattement, jusqu’au jour où brilla la fleur naissante du monde ? Pour nous, enfin, quel mal y aurait-il eu à ne pas naître ? Car, une fois né, un être quelconque doit vouloir rester au monde, tant que les douces jouissances y retiennent son âme ; (5, 180) mais s’il n’a jamais goûté à cet amour de la vie, s’il ne fut jamais au nombre des vivants, que lui importe de n’être pas créé ?

Et le type de la création, et l’idée même de l’homme, où ces dieux l’ont-ils puisée [182] ? Comment ont-ils su et envisagé dans leur intelligence ce qu’ils voulaient faire ? Eussent-ils connu l’énergie des atomes, et ce que peuvent leurs différentes combinaisons, sans la Nature qui a fourni son propre modèle ? Car, depuis le temps immémorial que les atomes, battus par mille chocs de mille sortes, (5, 190) et accoutumés à un vif essor que leur poids aiguillonne, forment toutes les alliances, essayent tous les arrangements capables de féconder leur assemblage, il n’est pas étonnant qu’ils aient enfin rencontré un ordre, établi un cours tel que celui où s’opère et se renouvelle aujourd’hui encore la grande masse des êtres.

Pour moi, lors même que je ne connaîtrais pas les éléments des choses, rien qu’à voir le mécanisme céleste, j’affirmerais sans crainte, je prouverais sans réplique (5, 199) que la Nature ne peut être l’ouvrage d’une main divine, tant elle a d’imperfections.

D’abord, tout l’espace que le vaste tourbillon des cieux enveloppe est avidement rongé par les montagnes et les forêts des bêtes sauvages, ou envahi par des rocs et des marais immenses, et la mer enfin, large ceinture qui entrecoupe les terres. Les ardeurs brûlantes ou l’éternelle chute des frimas dévorent presque deux zones qu’elles ôtent aux mortels. Ce qui reste de terrain, la Nature, par sa propre énergie, le couvrirait de ronces, sans la vigoureuse résistance de l’homme, que les besoins de sa vie accoutument à gémir sur un infatigable râteau, (5, 210) et à presser, à fendre la terre de sa charrue. Si on ne retourne point avec le soc les glèbes fécondes, et qu’un bouleversement du sol n’excite pas la végétation, elle ne peut jaillir toute seule dans les airs limpides. Encore souvent le fruit de nos pénibles travaux, alors que toute la plaine se couvre de feuilles et de fleurs, est-il brûlé aux feux trop ardents que le soleil verse des hauteurs du ciel, ou étouffe sous des pluies, des gelées inattendues, ou ravagé par le souffle furieux et la tourmente des vents.

Et la race terrible des bêtes sauvages, (5, 220) fléau de l’espèce humaine, d’où vient que la Nature se plaît à la nourrir et à l’accroître sur la terre et dans l’onde ? Pourquoi les saisons nous apportent-elles des maladies ? Pourquoi la mort erre-t-elle sur nos têtes, avant l’âge mûr pour la tombe ?

Semblable au marin qu’ont rejeté les ondes cruelles, l’enfant demeure couché sur la terre, nu, sans parole, dénué de tous les secours qui aident à vivre, sitôt que la Nature le vomit avec