Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/116

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Pour que la terre repose, immobile, au centre du monde [535], il faut que sa pesanteur diminue et s’évanouisse insensiblement ; il faut que l’extrémité inférieure ait pris une essence nouvelle, étant unie et incorporée, depuis la naissance des âges, aux parties de l’air où elle trouve sa base. (5, 540) De là vient qu’elle ne leur est point à charge, que les airs ne fléchissent pas sous elle. De même les membres d’un homme ne le chargent pas ; la tête ne pèse point au cou, et les pieds ne sentent pas le faix de la masse. Au contraire, tout poids extérieur qui nous est imposé nous incommode, fût-il beaucoup moindre que nous : tant il faut considérer ce que peuvent toutes choses ! Ainsi donc la terre n’est point une étrangère, venue du dehors, et lancée tout à coup dans un air étranger pour elle. Également conçue dès l’origine du monde, (5, 550) elle en est une partie déterminée, comme tu vois que les membres sont une partie de nous-mêmes.

D’ailleurs, ébranlée soudain par un vaste coup de tonnerre, elle ébranle de son agitation tout ce qui est au-dessus d’elle. Or, pourrait-elle le faire, si elle n’était enchaînée aux parties aériennes du monde et au ciel ? Oui, ces essences se tiennent et ont, depuis la naissance des âges, les mêmes racines, les mêmes nœuds, les mêmes accroissements.

Regarde le corps humain : ce poids énorme n’est-il pas soutenu par la fine et vive essence de l’âme ? C’est que tous deux sont unis et attachés ensemble. (5, 560) Et qui pourrait, d’un saut agile, soulever le corps, sinon l’âme vive qui gouverne les membres ?

Vois-tu maintenant toute l’énergie d’une frêle nature, quand elle est jointe à un être pesant, comme l’air au sol, et l’âme au corps.

Le disque et l’ardent foyer du soleil ne peuvent être beaucoup plus grands ou beaucoup moindres que nos organes nous les montrent [565]. Car de si loin que les feux attirent encore nos regards, et envoient à nos membres le souffle de la vapeur chaude, tout l’espace que dévore le jet de flamme ne les entame point, (5, 570) et à l’œil la masse n’en est pas plus resserrée. Donc, puisque la chaleur du soleil et ses torrents de lumière parviennent à nos sens, et illuminent la terre, il en résulte que nous devons apercevoir aussi sa forme, ses contours, de telle sorte que la vérité ne permette ni de l’accroître, ni de l’appauvrir.

Et la lune, soit qu’elle roule inondant l’espace d’un éclat emprunté, soit qu’elle darde la lumière de sa propre essence, ne marche point avec une plus vaste figure que son disque visible ne le fait juger à nos yeux. Car tous les objets qu’une vue lointaine saisit (5, 580) à travers une épaisse couche d’air, brouillent plutôt leur image qu’ils n’amoindrissent leur contour. Il faut donc que la lune, qui nous offre une apparence claire et nette de sa forme, et qui dessine jusqu’aux traits de son visage, nous apparaisse dans toute sa grandeur à la cime des airs.

Enfin, pour connaître tous ces feux qui éclatent dans le ciel, examine tous les feux de terre.