Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/126

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naissance ? Le besoin même, le premier guide qui a dû lui faire voir et comprendre le but de ses efforts, qui le lui a donné ? (5, 1049) Et puis, seul contre tous, avait-il la force de les soumettre, de les réduire, de leur apprendre malgré eux les noms des choses ? Comment les instruire, comment engager ces intelligences sourdes au travail nécessaire ? Rudes et impatients, les hommes n’eussent jamais souffert qu’on leur fatiguât vainement l’oreille de sons inconnus.

Est-il si merveilleux, après tout, que le genre humain, doué d’une voix et d’une langue si énergiques, marquât les objets de sons divers sous diverses impressions ? Les troupeaux eux-mêmes, les troupeaux sans parole et les espèces sauvages ont bien coutume de pousser un cri différent et varié, (5, 1060) quand la crainte, la douleur ou la joie les envahissent : le fait est clair, on peut aisément le reconnaître.

Lorsque les molosses irrités grondent, et que le souple frémissement de leur vaste gueule met à nu leurs dents redoutables, leur rage ne découvre point ses armes menaçantes avec un son pareil à leurs aboiements, qui éclatent enfin et remplissent les airs. De même, quand ils se mettent à caresser leurs petits avec la langue, quand ils les agacent de leurs pattes, et que leur dent contenue les effleure comme pour les engloutir sous des morsures innocentes, le cri joyeux de leur tendresse ne ressemble (5, 1070) ni à leurs plaintes quand ils hurlent dans la solitude, ni à leurs sanglots quand ils fuient, en rampant, les coups.

On voit aussi que les hennissements du cheval diffèrent, alors que, dans la fleur de ses jeunes années, il bondit au milieu des cavales, frappé des aiguillons de l’Amour aux ailes rapides ; ou que ses larges naseaux frémissent au retentissement des armes ; ou que sans motif il hennit en agitant ses membres.

Enfin, toute la race ailée et les oiseaux de mille couleurs, les vautours, les orfraies, les plongeons des mers qui cherchent leurs aliments et leur vie dans les flots salés, (5, 1080) jettent à d’autres instants d’autres cris que ceux avec lesquels ils combattent pour leur nourriture, et se disputent une proie. La température même communique ses vicissitudes au chant rauque des antiques corneilles, et de ces bandes de corbeaux qui appellent, dit-on, les averses des nues, ou qui parfois implorent le souffle des vents.

Or, si la différence des impressions force les animaux, quoique muets, à émettre différents cris, combien n’est-il point encore plus simple que les premiers hommes aient pu désigner par mille sons mille choses diverses ?

(5, 1090) Ici, pour ne pas te faire tout bas une demande sans réponse, sache que, dans l’origine, la foudre vint apporter le feu aux mortels, et ouvrir la source des embrasements sur la terre. Car on voit bien des matières, ensemencées du feu céleste, vomir une flamme resplendissante, dès que le trait du ciel les allume. Néanmoins, quand la cime touffue des arbres, agitée par le vent, échauffe ses rameaux que heurtent les