Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/127

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rameaux voisins, la force du choc lui arrache des étincelles ; souvent même, la flamme jaillit et bouillonne sous le frottement mutuel des branches. (5, 1100) Voilà deux choses qui peuvent avoir donné le feu aux hommes.

Ensuite, le soleil leur apprit à cuire la nourriture, à l’amollir aux chaudes vapeurs de sa flamme ; parce que, sous leurs yeux, mille fruits des campagnes s’adoucissaient, vaincus par les coups de son ardeur brûlante. Puis, de jour en jour, guidés par les intelligences supérieures et les têtes les plus fortes, ils modifiaient leur subsistance et leur vie, à l’aide du feu et d’inventions nouvelles.

Les rois commencèrent à bâtir des villes, à fonder des citadelles, boulevard et asile pour eux-mêmes. Ils divisèrent les troupeaux, les champs ; et ils tinrent compte, dans ce partage, (5, 1110) de la beauté, de la force et de l’intelligence. Car la beauté florissait alors, et la force pouvait beaucoup ; plus tard, la richesse fut imaginée, l’or découvert, et ils ôtèrent sans peine leur éclat à ceux qui étaient beaux et forts, puisque la vigueur et la beauté même s’attachent le plus souvent au parti du plus riche.

Quand la saine raison gouverne les existences, vivre content de peu est un trésor inestimable : car à qui se borne, rien ne manque. Mais les hommes ont voulu être puissants et illustres, (5, 1120) afin d’asseoir leur fortune sur une base impérissable, et de se ménager une vie tranquille au sein de l’opulence. Vain espoir ! En luttant pour atteindre le faîte des honneurs, ils ont rendu la voie périlleuse ; et une fois à la cime, l’envie les frappe encore comme la foudre, et précipite leur grandeur humiliée dans le sombre Tartare. Aussi vaut-il mieux obéir en paix, que d’aspirer au gouvernement d’un empire et à la possession d’un trône. Laisse-les donc se fatiguer d’un effort inutile, et suer le sang à se débattre sur le chemin étroit de l’ambition, (5, 1130) puisque l’envie, à l’exemple de la foudre, embrase les hauteurs et tout ce qui dépasse le reste ; puisque ces hommes ne jugent que par la bouche des autres, et que leurs désirs naissent de faux récits plutôt que de leurs impressions mêmes ; éternelle folie de notre temps comme du temps à venir, comme du temps écoulé.

Ainsi, quand on eut massacré les rois, on renversa dans la poussière l’ancienne majesté du trône et l’orgueil du sceptre ; le brillant insigne des têtes les plus hautes roula ensanglanté sous les pieds de la foule, pleurant ses beaux honneurs détruits : tant on écrase avec joie l’objet d’une peur trop vive !

(5, 1140) Les affaires retournaient donc aux mains de la populace, de la dernière lie ; chacun tirait à soi le pouvoir et le rang suprême. Bientôt quelques hommes instruisirent les autres à créer des magistratures, à établir le droit commun, à reconnaître des lois : car le genre humain, las d’une vie pratiquée sous l’empire de la force, et tout languissant de haines meurtrières, n’aspirait plus qu’à tomber dans l’étroite chaîne des lois et de la justice. Oui, ces ardeurs de vengeance que la colère poussait au delà des bornes fixées maintenant