Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/156

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

à Gadès, et jusque chez les races humaines noircies par de brûlantes chaleurs ? (6, 1109) Outre les quatre vents et les quatre zones qui distinguent à nos yeux ces quatre régions, de larges abîmes séparent évidemment la couleur, le visage des peuples, et les espèces de maux qui envahissent chacune.

Il est une maladie, l’éléphantiasis, qui s’engendre sur les bords du Nil, au cœur de l’Égypte, et nulle part ailleurs.

Dans l’Attique, les jambes sont attaquées ; et l’œil, au pays des Achéens. D’autres lieux sont funestes à d’autres parties, à d’autres membres : cette disposition tient aux variétés de l’air.

Ainsi, quand un ciel lointain, qui se trouve être un poison pour nous, se déplace ; quand un air ennemi nous gagne de sa vague ondoyante, (6, 1120) il se traîne peu à peu, comme le brouillard ou les nues ; et toute l’atmosphère où il passe, il la trouble, et l’oblige à changer de nature. C’est ce qu’il fait encore, lorsqu’enfin il arrive dans la nôtre : il la gâte, il la rend pareille à lui-même et contraire à nous.

Engendré soudain, ce mal nouveau, cette peste va fondre sur les eaux, ou pénètre les moissons et les autres aliments des hommes, et la pâture des bêtes ; ou même sa fatale énergie demeure suspendue dans les airs ; et quand notre haleine aspire leur souffle ainsi mélangé, il faut bien que nos corps engloutissent aussi le venin. (6, 1130) Souvent la contagion atteint jusqu’aux bœufs, jusqu’aux troupeaux bêlants que le mal appesantit. Peu importe donc que nous allions nous-mêmes en des climats funestes, et que nous changions le manteau des airs qui nous enveloppe ; ou bien que la Nature nous amène soit un air corrompu, soit quelque autre dont l’usage ne nous est point habituel, et dont l’irruption soudaine peut nous porter atteinte.

Un fléau de ce genre, de mortelles vapeurs désolèrent jadis les campagnes où régna Cécrops : les chemins furent dépeuplés, et la ville épuisée d’habitants. (6, 1140) Car une peste née au loin, et venue des confins de l’Égypte, après avoir franchi de vastes cieux et la plaine flottante des mers, s’abattit enfin sur le peuple de Pandion ; et tous aussitôt devenaient en foule la proie de la maladie et de la mort.

D’abord un feu dévorant se portait à la tête, les deux yeux étincelaient d’ardentes rougeurs. La gorge elle-même, noire à l’intérieur, suait du sang ; des ulcères resserraient en l’obstruant le chemin de la voix, et le sang ruisselait aussi de la langue, cette interprète de l’âme, affaiblie de ses blessures, lourde, paresseuse, et rude au toucher.

(6, 1150) Puis, quand le torrent du mal, descendu par la gorge, inondait la poitrine et se répandait au cœur attristé des malades, alors toutes les barrières de la vie s’ébranlaient à la fois.

De la bouche roulaient, avec l’haleine, ces odeurs fétides qu’exhalent en se gâtant les cadavres abandonnés. L’âme entière dépouillée de sa force, et tout le corps, languissaient, touchant déjà au seuil de la mort. Ces insupportables douleurs avaient pour compagnes assidues les in-