Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/162

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avait le menton usé par les nombreux hommages de ce genre qu’elle recevait à chaque instant.

v. 460. Tempus item per se non est. Le temps a été la première divinité de la théologie païenne, à cause du caractère d’infinité qu’il semble porter avec lui. Saturne, le ciel ou le temps, étaient un seul et même dieu, un vieillard terrible, sous la faux duquel tombaient indistinctement tous les êtres. Le temps fut donc personnifié. On lui donna un corps et des parties qui étaient le passé, le présent et l’avenir. On le regarda comme un être réel, distinct, mais dépendant du monde qui était né avec lui, et qui devait avoir la même fin ; en sorte que, ce monde détruit, il faudrait qu’un autre temps prît naissance et vînt présider à un autre univers. C’est contre cette opinion extravagante que s’arme ici Lucrèce, persuadé que le temps est une idée purement abstraite, une forme imaginaire sous laquelle l’esprit envisage la suite des événements.

…… Transactum quid sit in ævo,
Tum quæ res instet, quid porro deinde sequatur.

v. 552. Denique, si nullam finem natura parasset Frangundeis rebus. La divisibilité de la matière est une question importante et vivement débattue. Thalès, Pythagore, Aristote, Chrysippe, Descartes, soutiennent qu’elle se partage à l’infini ; Leucippe, Démocrite, Épicure, Lucrèce, Gassendi, adoptent l’idée contraire. Entre tant et de si hautes autorités, la décision n’est pas facile. Toutefois les objections de Lucrèce nous ont paru d’autant plus fortes, que de nos jours la science leur prête un appui incontestable. Si, comme on le voit à l’aide du microscope, la nature ne développe les êtres qu’en travaillant sur des germes, il faut bien que les divisions actuelles de la matière soient bornées.

v. 639. Heraclitus init quorum dux prœlia primus. Héraclite, qui enseignait la philosophie de Pythagore dépouillée de ses voiles, exerça d’abord la première magistrature d’Éphèse, sa patrie. Dégoûté du gouvernement par la méchanceté des hommes, il s’ensevelit dans la retraite, pour y verser d’intarissables larmes sur leurs maux et leurs vices. Après avoir refusé l’invitation de Darius qui l’appelait à sa cour, il mourut à 60 ans, d’une hydropisie. Ce langage obscur que notre poëte lui reproche, le fit appeler Σϰοτεινὸς, le ténébreux. Sa physique entière repose sur cet axiome : que le feu est le principe de tout ; le principe des âmes, qui ne sont que des particules ignées ; le principe des corps, dont les éléments sont des molécules de feu simples, éternelles, inaltérables et indivisibles. Ces atomes ignés ont formé l’air, en se condensant ; un air plus dense encore a produit l’eau ; une eau plus compacte a engendré la terre. L’âme n’étant que du feu, Héraclite en concluait que le comble du malheur était de se noyer, parce qu’alors l’âme s’éteint et qu’on meurt tout entier : opinion singulière qui pénétra jusque dans le christianisme ; car Synédius, évêque de Ptolémaïs au quatrième siècle, avoue qu’au moment de faire naufrage sur les côtes de la Libye, cette idée lui causa de vives appréhensions. Héraclite eut quelques disciples ; entre autres Platon, qu’il forma jeune encore à l’étude de la philosophie.

v. 717. Quorum Agragantinus cum primis Empedocles est. Empédocle, fils de Méthon, d’une noble famille d’Agrigente, s’illustra comme philosophe, comme poëte et comme historien. Il vécut en même temps qu’Euripide, vers la 84e olympiade, environ 404 ans av. Jésus-Christ. Ainsi qu’Homère, il eut l’honneur de voir ses poésies chantées publiquement. Sa vie est peu connue, et de ses ouvrages il ne reste que des fragments cités par Aristote et Diogène Laërce. On raconte qu’il se précipita lui-même dans un cratère de l’Etna.

v. 830. Nunc et Anaxagoræ scrutemur ὁμοιμέρειαν. Anaxagore, né à Claxomène dans une haute position, abandonna tout, honneurs et richesses, pour étudier la nature. Socrate, Périclès, Euripide, furent ses disciples, et illustrèrent d’un triple éclat son école. Le premier de tous, suivant Aristote, il attribua l’arrangement du monde à une Intelligence ; idée magnifique, qu’il gâta lui-même en reconnaissant une matière préexistante, sur laquelle cette intelligence n’avait aucun droit. La tendance religieuse de ses enseignements, qui lui avait valu le surnom de Νοῦς ou mens, ne put le soustraire à une accusation d’impiété ; et, chose à peine croyable ! l’homme qu’on accusait d’impiété pendant sa vie eut des autels après sa mort. Anaxagore est le premier philosophe qui ait publié des livres.

v. 1051. Illud in his rebus longe fuge credere, Memmi. C’est le système des antipodes que réfute ici Lucrèce.






LIVRE II.


v. 4Quibus ipse malis careas, quia cernere suave est. Au lieu de mettre, comme la plupart des traducteurs : « La vue des maux dont nous sommes exempts nous est douce, » on a cru rendre le véritable sens de ce vers en traduisant : « Nous aimons à voir de quels maux nous sommes exempts. » C’est là une idée moins égoïste, moins cruelle.

v. 7. Sed nil dulcius est, bene quam munita tenere. Voltaire, dans une épître à mad. Du Châtelet, a traduit ce morceau :

Heureux qui, retiré dans le temple des sages,
Voit en paix sous ses pieds se former les orages ;
Qui contemple de loin les mortels insensés,
De leur joug volontaire esclaves empressés.
Inquiets, incertains du chemin qu’il faut suivre.
Sans penser, sans jouir, ignorant l’art de vivre,
Dans l’agitation consumant leurs beaux jours,
Poursuivant la fortune et rampant dans les cours !
O vanité de l’homme ! ô faiblesse ! ô misère !

v. 24. Si non aurea sunt juvenum simulacra per ædeis, Lampadas igniferas. Ces beaux vers ont frappé Virgile, qui a peint le même tableau avec de nouvelles couleurs dans le second livre des Géorgiques :

O fortunatos nimium, sua si bona norint,
Agricolas, quibus ipsa, procul discordibus armis,
Fundit humo ! facilem victum justissima tellus,
Si non ingentem foribus domus alta superbis
Mane salutantum totis vomit ædibus undam,
Nec varios inhiant pulchra testudine postes,
Illusasque auro vestes, Ephyreiaque æra,
Alba neque Assyrio fucatur lana veneno,
Nec casia liquidi corrumpitur usus olivi.
At secura quies, et nescia fallere vita,
Dives opum variarum ; at latis otia fundis,
Speluncæ, vivique lacus : at frigida Tempe,
Mugitusque boum, mollesque sub arbore somni,
Non absunt ; illic saltus et lustra ferarum,
Et patiens operum exiguoque assueta juventus.

Nous renvoyons, pour l’intelligence de ce morceau, à la traduction de Virgile que contient ce volume.

v. 66. Nam certe non inter se stipata cohæret Materies. Lucrèce combat ici Aristote, qui supposait la matière inerte, comme il la croyait sans forme, et qui attribuait à cette inertie même toutes les transformations de la nature. Épicure, au contraire, veut que la matière soit frappée d’une éternelle agitation.

…… Nimirum nulla quies est
Reddita corporibus primis per inane profundum.

v. 209. Non cadere in terram stellas et sidera cer-