Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/18

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et demande-lui pour les Romains une paix tranquille. Car le malheureux état de la patrie nous ôte le calme que demande ce travail ; et, dans ces tristes affaires, l’illustre sang des Memmius se doit au salut de l’État.

Ouvre pourtant les oreilles, cher Memmius ! laisse là tes soucis, et abandonne-toi à la vérité. Ces dons, ces œuvres élaborées pour toi d’une main fidèle, ne les rejette point avec mépris avant de les connaître. Car je vais discuter les grandes lois qui gouvernent les cieux, les immortels, (1, 50) et te faire voir les principes dont la nature forme, nourrit, accroît toutes choses [57], et où elle les réduit toutes quand elles succombent. Pour rendre compte de ces éléments, nous avons coutume de les appeler matière, corps générateurs, semence des êtres ; (1, 60) et même nous employons le mot de corps premiers, parce que tout vient de ces substances primitives.

Car il ne faut rien imputer aux dieux qui, par la force de leur nature, jouissent dans une paix profonde de leur immortalité, loin de nos affaires, loin de tout rapport avec les hommes. Aussi, exempts de douleur, exempts de péril, forts de leurs propres ressources et n’ayant aucun besoin de nous, la vertu ne les gagne point et la colère ne peut les toucher.

Jadis, quand on voyait les hommes traîner une vie rampante sous le faix honteux de la superstition, et que la tête du monstre, leur apparaissant à la cime des nues, les accablait de son regard épouvantable, un Grec [67], un simple mortel osa enfin lever les yeux, osa enfin lui résister en face. Rien ne l’arrête, ni la renommée des dieux, ni la foudre, (1, 70) ni les menaces du ciel qui gronde ; loin d’ébranler son courage, les obstacles l’irritent, et il n’en est que plus ardent à rompre les barrières étroites de la nature. Aussi en vient-il à bout par son infatigable génie : il s’élance loin des bornes enflammées du monde, il parcourt l’infini sur les ailes de la pensée, il triomphe, et revient nous apprendre ce qui peut ou ne peut pas naître, et d’où vient que la puissance des corps est bornée et qu’il y a pour tous un terme infranchissable. La superstition fut donc abattue et foulée aux pieds à son tour, et sa défaite nous égala aux dieux.

(1, 81) Mais tu vas croire peut-être que je t’enseigne des doctrines impies, et qui sont un acheminement au crime ; tandis que c’est la superstition, au contraire, qui jadis enfanta souvent des actions criminelles et sacrilèges. Pourquoi l’élite des chefs de la Grèce, la fleur des guerriers, souillèrent-ils en Aulide l’autel de Diane du sang d’Iphigénie ? Quand le bandeau fatal, enveloppant la belle chevelure de la jeune fille, flotta le long de ses joues en deux parties égales ; (1, 90) quand elle vit son père debout et triste devant l’autel, et près de lui les ministres du sacrifice qui cachaient encore leur fer, et le peuple qui pleurait en la voyant ; muette d’effroi, elle fléchit le genou, et se laissa aller à terre. Que lui servait alors, l’infortunée, d’être la première qui eût donné le nom de père au roi des Grecs ? Elle fut enlevée par