Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dra nos bruyères, il entendra nos bois résonner de ton nom. Est-il rien de si agréable à Phébus, que la page qui s’est décorée du nom de Varus ?

Muses, continuez. Chromis et Mnasyle, deux bergers, deux enfants, trouvèrent un jour Silène endormi dans un antre. Il avait, comme toujours, les veines enflées du vin de la veille. Sa couronne tombée de sa tête était loin de lui, et de sa main, qui en avait usé l’anse, pendait encore un vase pesant. Souvent le vieillard leur avait fait espérer ses chants ; toujours il les avait trompés : ils se jettent sur lui, et le lient avec ses propres guirlandes. (6, 20) Églé survient ; Églé, la plus belle des nymphes, encourage les timides bergers et leur prête secours ; et, au moment que le vieillard ouvre les yeux, elle lui rougit le front et les tempes du jus sanglant de la mûre. Lui, riant du badinage : « Pourquoi ces nœuds, enfants ? leur dit-il. Dégagez-moi ; c’est assez d’avoir pu me surprendre. Les chants que vous voulez de moi, vous allez les entendre : à vous mes chants ; à celle-ci je réserve une autre récompense. » Il dit ; il va chanter. Alors vous eussiez vu les Faunes et les bêtes sauvages accourir en cadence et se jouer autour de lui, et les chênes eux-mêmes balancer leurs cimes émues. Les rochers du Parnasse ne se réjouissent pas autant des accents d’Apollon ; (6, 30) le Rhodope et l’Ismare n’admirent pas autant Orphée. Silène chanta comment s’étaient pressés, confondus dans le vide immense, les éléments de la terre, de l’air, de la mer, et du feu liquide ; comment ils donnèrent naissance à toute chose, comment le monde encore tendre se forma de ces germes féconds ; comment le sol commença à durcir, et à se séparer des eaux reçues dans le sein des mers ; comment la matière revêtit peu à peu des formes diverses. Il dit les premiers feux du soleil, et la terre étonnée de le voir luire ; les nuages montant au plus haut des airs et retombant en pluies, les jeunes forêts levant leurs fronts sauvages, et (6, 40) les animaux errant en petit nombre sur les monts inconnus. Il dit les pierres jetées par Pyrrha, le règne de Saturne, les vautours du Caucase, et le vol de Prométhée ; Hylas perdu sous l’onde, et qu’appelaient en vain ses compagnons ; Hylas, Hylas, que redemandait au loin la rive. Heureuse, hélas ! s’il n’y eût jamais eu de troupeaux, Pasiphaé, il plaint ton déplorable amour pour un taureau blanc comme la neige. Ah ! vierge infortunée, quel délire t’a emportée ! Les Prœtides remplirent les campagnes de faux beuglements ; mais aucune d’elles ne s’abandonna aux honteux hyménées des troupeaux, (6, 50) quoiqu’elles craignissent le joug pour leur tête, et que souvent elles cherchassent des cornes sur leur front uni. Ah ! malheureuse amante, tu erres maintenant sur les montagnes ; et lui, couché sur la molle hyacinthe, où s’étale la blancheur de ses flancs, il rumine de vertes herbes sous l’ombre noire d’une yeuse, ou poursuit quelque génisse dans un grand troupeau. Fermez, nymphes de Crète, fermez les issues des forêts ! peut-être s’offriront à mes yeux les traces vagabondes du