Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/189

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taureau que j’aime ; peut-être aussi que, charmé par les verts pâturages, ou que suivant un troupeau, (6, 60) quelque génisse l’attire vers les étables de Gortyne. Alors il chante la jeune fille éblouie des pommes d’or du jardin des Hespérides ; il enveloppe d’une écorce amère et moussue les sœurs de Phaéton, s’élevant de la terre dans les airs en hauts peupliers. Il chante Gallus, errant sur les bords du Permesse : il dit comment une des neuf sœurs le conduisit sur le sommet de l’Hélicon, et comment devant lui se leva tout le chœur d’Apollon ; comment le berger Linus, le front couronné de fleurs et d’ache amère, lui dit d’une voix divine : « Reçois des mains des Muses ces chalumeaux, (6, 70) qu’elles donnèrent autrefois au vieillard d’Ascra ; quand il en tirait des accords, les ormes émus descendaient des montagnes. Dis-nous sur ces chalumeaux les origines de la forêt de Grynée ; et que, chanté par toi, il n’y ait aucun bois sacré dont Apollon se glorifie davantage. » Que ne chanta pas Silène ? Il dit les fureurs de Scylla, fille de Nisus ; les monstres aboyants qui entouraient ses flancs d’albâtre d’une horrible ceinture ; comment elle tourmenta les vaisseaux d’Ulysse, précipita ses compagnons tremblants dans l’abîme profond des mers, hélas ! et les livra à la dent dévorante de ses chiens. Il dit Térée et sa triste métamorphose, quels funestes mets lui prépara Philomèle ; (6, 80) comment, nouvel oiseau, il s’enfuit dans les déserts ; comment, avant de fuir, le malheureux voltigea au-dessus de son palais. Enfin, tous les beaux chants d’Apollon qu’écouta jadis l’Eurotas ravi, et qu’il fit retenir à ses lauriers, Silène les redit ; et les échos des vallons les renvoient jusqu’aux astres. Mais Vesper, se levant, ordonne aux deux bergers de pousser vers l’étable leurs brebis rassemblées, et de les compter, et l’Olympe voit à regret s’avancer la nuit.






ÉCLOGUE VII.
MÉLIBÉE.


MÉLIBÉE, CORYDON, THYRSIS.

MÉLIBÉE.

(7, 1) Daphnis s’était assis par hasard sous le feuillage murmurant d’un chêne ; Corydon et Thyrsis avaient poussé vers lui leurs troupeaux rassemblés, Thyrsis ses brebis, Corydon ses chèvres aux mamelles traînantes : tous deux de l’Arcadie et dans la fleur des ans, tous deux égaux dans l’art de chanter et de répondre aux chants. Là, tandis que je défendais du froid mes tendres myrtes, le chef de mon troupeau, le bouc, s’égara. En même temps j’aperçois Daphnis, qui, me voyant aussi, me dit : Viens ici, Mélibée, viens vite ; ton bouc et tes chevreaux sont en sûreté ; (7, 10) et si tu as quelque loisir, repose-toi à l’ombre près de moi. Tes bœufs viendront d’eux-mêmes par le pré boire en ces eaux : ici le verdoyant Mincius est ceint de tendres roseaux, et les abeilles bourdonnent sous ce chêne sacré. Que faire ? Je n’avais au logis ni Phyllis, ni Alcippe, pour renfermer dans la bergerie mes agneaux nouvellement sevrés : mais un si grand combat !