Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/210

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Cependant ces mêmes arbres, si on les (2, 50) greffe, ou si on les transplante dans une terre fortement remuée, dépouilleront leur naturel sauvage ; assouplis par une culture incessante, ils viendront se prêter à tous les artifices de tes mains. Tu n'obtiendras pas moins de ces rejetons stériles qui sortent de la racine des arbres, si tu sais les transplanter dans un champ découvert : à présent le haut feuillage et l'ombre épaisse de leur mère étouffent ces avortons, leur ôtent la force de croître, et tuent leurs fruits dans le germe.

Tout arbre, sorti d'une semence, est lent à venir, et ne donnera de l'ombre qu'à tes arrière-neveux. Les fruits eux-mêmes dégénèrent, perdant leurs doux sucs d'autrefois ; (2, 60) et la vigne vient à ne porter plus que des grappes honteuses, qui sont la proie des oiseaux. Donne donc à tous tes arbres les mêmes soins constants ; ramasse-les tous dans des sillons ; n'épargne pas ta peine pour les dompter. L'olivier aime à renaître de ses troncs ; les ceps ne réussissent que provignés. On plante aussi en entier le myrte de Paphos, le dur coudrier, le frêne altier, le peuplier ombreux qui donne à Hercule des couronnes, le chêne de Jupiter Chaonien, le haut palmier, et le sapin qui ira voir les tempêtes des mers. On greffe sur le triste arboisier la noix franche ; (2, 70) les stériles platanes portent les rejetons vigoureux du pommier, les hêtres ceux du châtaignier ; le frêne blanchit sous les fleurs du poirier, et l'on voit les porcs broyer le gland au pied de l'ormeau.

Il y a deux manières d'enter les arbres, soit en greffe, soit par inoculation. L'inoculation se fait à l'endroit où le bouton, forçant l'écorce, a poussé et rompu déjà sa mince tunique ; dans le nœud lui-même une petite fente est pratiquée, et on y enferme le bouton d'un arbre étranger, qui s'incorpore à sa nouvelle écorce, et qui en boit la sève. Dans la greffe le tronc des arbres est coupé à l'endroit le plus lisse ; et dans le cœur même du bois que les coins déchirent, une fente profonde s'ouvre (2, 80) pour recevoir des rejetons fertiles : bientôt s'élève d'un essor vigoureux un grand arbre, étonné de son nouveau feuillage et des fruits qu'il n'a point portés.

Il n'y a pas qu'une seule espèce des mêmes arbres, de l'orme, du saule, du lotos, du cyprès de l'Ida : la grasse olive non plus ne se montre pas partout la même. Il y a l'olive ronde, l'ovale, l'amère bonne à broyer. Que de pommes aussi ! c'est l'abondance d'Alcinoüs : ce n'est pas le même poirier qui donne la poire de Crustumium, celle de Syria, et la lourde volema ; et la grappe qui pend à la vigne d'Italie n'est pas la même (2, 90) que celle que dans Lesbos Méthymne détache de ses ceps. Il y a les vignes à vin blanc de Thasos ; il y a celles de la Maréotide ; les unes viennent mieux dans une terre légère, les autres dans une terre grasse. Dans les raisins, le Psithia est excellent cuit ; le Lagéos, au grain menu, fera chanceler les buveurs et enchaînera leur langue. Il y a le raisin pourpre, et le raisin précoce. Vous vanterai-je assez, vins de Rhétie, quoique vous n'ayez pas à le disputer à nos crus de Falerne ? N'avons-nous pas encore les vins d'Aminée, les plus forts des vins, devant qui s'inclinent et ceux de Tmole, et le Phanée lui-même, ce roi des coteaux ? Que dirai-je du vin