Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/215

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(2, 290) On n'enfonce profondément en terre que les grands arbres, le chêne surtout, dont la tête s'élève autant vers le ciel que les racines descendent vers leTartare. Aussi rien ne l'ébranle, ni les hivers, ni le souffle des vents, ni les pluies ; il demeure immobile, et, vainqueur des siècles qui s'écoulent, il passe en durée de nombreuses générations. Alors, tendant de tous côtés ses bras vigoureux, seul il soutient alentour l'ombre immense de ses rameaux.

Que jamais ton vignoble ne soit tourné du côté du soleil couchant : ne plante pas non plus le coudrier parmi tes vignes ; et pour tes provins, garde-toi (2, 300) de couper les sarments du haut du cep ; laisse-les pour ceux du bas, qui, plus près de la terre, l'aiment davantage : ne va pas les déchirer avec un fer émoussé, ni entremêler tes vignes d'oliviers sauvages. Car souvent des bergers imprudents y laissent tomber une étincelle, qui se glisse en secret sous l'écorce onctueuse, s'empare du tronc, et, s' élançant jusqu'aux plus hautes feuilles, éclate dans les airs par un immense pétillement : bientôt le feu vainqueur court de branche en branche, et domine le sommet de l'arbre ; de là il enveloppe la forêt tout entière, et roule dans le ciel les torrents épais d'une fumée huileuse. (2, 310) C'est pis encore quand le vent fond d'en haut sur les bois, et qu'il chasse devant lui les tourbillons agglomérés de l'incendie. Dès lors plus de vignes : elles ne peuvent renaître ni de leurs racines, ni de leur bois taillé ; tu ne les reverras plus, semblables à ce qu'elles étaient, reverdir dans la même terre. Quelques malheureux oliviers aux feuilles amères, c'est tout ce qui te reste d'elles.

N'en crois pas les plus sages, s'ils te conseillaient de remuer la terre quand le souffle de Borée la resserre. Alors son sein est fermé par la gelée ; et tes nouveaux plants ne pourraient pas fixer dans le sol leurs racines glacées. Le meilleur moment pour planter la vigne, c'est quand le printemps vermeil (2, 320) nous ramène l'oiseau aux blanches ailes, l'ennemi des longues couleuvres ; ou encore vers les premiers froids de l'automne, quand le char du soleil déjà plus rapide n'a pas encore atteint l'hiver, et qu'il a franchi l'été.

Le printemps est propice à tout, aux plantes aux forêts, au feuillage. Au printemps, la terre se gonfle, et redemande des semences de vie. Alors le dieu tout-puissant de l'air descend en pluies fécondes dans le sein de son amante réjouie, et, remplissant de son âme immense ce vaste corps, il lui fait porter tous les germes des fruits. Alors les profondes clairières retentissent des chants des oiseaux ; alors les troupeaux recommencent à sentir aux jours marqués les feux de Vénus. Partout le sol fécond enfante, et les campagnes ouvrent à la tiède haleine des zéphyrs (2, 330) leur sein amolli. Une douce humidité abonde dans les plantes : déjà le gazon ose impunément se confier aux rayons d'un soleil nouveau ; la vigne ne craint plus les rafales de l'auster, ni les froides pluies que l'aquilon amène avec lui ; mais elle pousse ses bourgeons, et déploie toutes ses feuilles.

Tels furent sans doute les jours qui éclairèrent le monde naissant ; telle leur succession première : ce fut le printemps, le printemps que le vaste univers parut fêter, alors que les Eurus retenaient leur souffle glacé, (2, 340) que les animaux commencè-