Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/218

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Mais qu'ai-je tant à parler de nos grands arbres ? Les saules et les humbles genêts ont aussi leur prix ; ils donnent du feuillage aux troupeaux, de l'ombre aux pâtres, des sucs nourrissants aux abeilles ; on en fait des haies pour les moissons. J'aime à voir le mont Cytore ondoyer sous ses buis ; j'aime à voir les forêts de pins de Naricia, et tant de campagnes que les râteaux et la main des hommes n'ont jamais subjuguées. (2, 440) Il n'est pas jusqu'aux forêts stériles du mont Caucase qui éternellement agitées et rompues par le souffle puissant des Eurus, ne nous donnent aussi leurs produits divers : nous en tirons des sapins pour nos vaisseaux, et pour nos édifices le cèdre et le cyprès. C'est avec leur bois que les laboureurs tournent des roues à rayons ou des roues pleines pour leurs chariots ; c'est leur bois qui se courbe en vastes carènes pour les navires. Le saule nous prête ses mille baguettes pliantes, l'orme son utile feuillage : du myrte on fait de solides javelines, du cornouiller des traits excellents : on courbe l'if en arcs d'Iturée. Le tilleul aussi à l'écorce polie, et le buis si facile à tourner, (2, 450) prennent des formes diverses, et cèdent au fer qui les creuse. Vois comme l'aune léger, lancé sur le Pô, vogue entraîné par les courants : vois les abeilles qui logent leur essaim sous l'écorce caverneuse et dans le tronc pourri des vieux chênes. Les dons de Bacchus ont-ils jamais égalé ces simples merveilles de la nature ? Qui dira les maux dont Bacchus a été cause ? C'est lui qui a dompté par ses vapeurs mortelles les centaures furieux, Rhétus et Pholus, et Hylée brandissant la vaste coupe dont il menaçait les Lapithes.

Trop heureux les laboureurs, s'ils connaissaient leurs vrais biens ! Loin du bruit des armes et des discordes furieuses, (2, 460) la terre équitable répand pour eux une facile nourriture. Ils ne voient pas le matin nos palais superbes rejeter par leurs mille portiques le flot tumultueux des clients ; ils ne vont pas s'ébahir devant ces portes incrustées de magnifiques écailles, devant ces vêtements chamarrés d'or, devant l'airain précieux de Corinthe ; pour eux les poisons d'Assyrie n'altèrent pas la blanche laine ; la pure liqueur de l'olive n'est point corrompue par la case : mais ils ont une vie tranquille, assurée, innocente, et riche de mille biens ; mais ils goûtent le repos dans leurs vastes domaines ; ils ont des grottes, des lacs d'eau vive ; ils ont les fraîches vallées, (2, 470) les mugissements des troupeaux, et les doux sommeils à l'ombre de leurs arbres : là sont les pâtis et les repaires des bêtes fauves ; c'est là qu'on trouve une jeunesse dure au travail, et accoutumée à vivre de peu. C'est là que la religion est en honneur, et les pères vénérés à l'égal des dieux : ce fut parmi les laboureurs qu'Astrée, prête à quitter la terre, laissa la trace de ses derniers pas.

Qu'avant tout les Muses, mes plus chères délices, divinités que je sers et qui m'échauffent d'un immense amour, me reçoivent dans leur chœur sacré ! qu'elles daignent me montrer les voies célestes et le mouvement des astres ; qu'elles me disent les temps et la cause des éclipses du soleil et de la lune ; pourquoi les tremblements de terre ; par quelle force la mer soulevée s'enfle (2, 480) et rompt ses barrières, par quelle force elle se retire en re-