Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/34

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des éléments communs, et arrangés de mille façons diverses.

Cependant, me dis-tu, il arrive parfois que, sur les hautes montagnes, des arbres, contraints par un vent impétueux, entre-choquent et frottent leurs cimes, où éclot enfin une couronne de feu resplendissante. (1, 900) Sans doute ; mais il ne faut pas croire que le bois contienne du feu : il ne renferme que des atomes inflammables, qui, amassés par le frottement des arbres, allument un incendie dans les forêts. Si la flamme se cachait au sein des forêts mêmes, elle ne pourrait se contenir un instant : elle brûlerait sans cesse les arbres, et elle dévorerait les bois.

Ne vois-tu pas déjà, comme nous le disions un peu plus haut, que le mélange des atomes, leur arrangement, et les impulsions que tous donnent ou reçoivent, sont d’une extrême importance ? (1, 910) car leur moindre transposition engendre le feu du bois : ainsi les mots latins de bois et de feu ont pour base des lettres qui changent à peine de rang, quoique tous deux forment un son distinct.

Enfin, si tu ne peux expliquer tout ce qui se passe dans les corps sensibles, sans leur assigner des éléments de même nature, les principes de la matière sont anéantis, ou ils doivent avoir, ainsi que les êtres, les joues baignées de larmes amères, et les lèvres agitées par le tremblement du rire.

(1, 920) Maintenant, ô Memmius, écoute et apprends ce qui te reste à connaître. Je sais combien ces matières sont obscures ; mais de glorieuses espérances ont frappé mon âme du plus vif enthousiasme, et lui ont imprimé le doux amour des Muses. Animé de leur feu, soutenu par mon génie, je parcours des sentiers du Piérus qui ne sont point encore battus, et que nul pied ne foule. J’aime à m’approcher des sources vierges, et à y boire ; j’aime à cueillir des fleurs nouvelles, et à me tresser une couronne brillante là où jamais une Muse ne couronna un front humain : (1, 930) d’abord, parce que mes enseignements touchent à de grandes choses, et que je vais affranchissant les cœurs du joug étroit de la superstition ; ensuite, parce que je fais étinceler un vers lumineux sur des matières obscures, et que je revêts toute chose des grâces poétiques. Et ce n’est pas sans raison. Le médecin veut-il faire boire aux enfants l’absinthe amère ; il commence par enduire les bords du vase d’un miel pur et doré, afin que leur âge imprévoyant se laisse prendre à cette illusion des lèvres, et qu’ils avalent le noir (1, 940) breuvage : jouets plutôt que victimes du mensonge, car ils recouvrent ainsi les forces et la santé. De même, comme nos enseignements paraissent amers à ceux qui ne les ont point encore savourés, et que la foule les rejette, j’ai voulu t’exposer ce système dans la langue mélodieuse des Piérides, et le dorer, en quelque sorte, du miel de la poésie ; espérant retenir ton âme suspendue à mes vers, tandis que je te ferais voir toute la