Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/50

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les cœurs impies de la foule soient épouvantés et tremblent devant la puissance de la déesse.

Aussi, quand elle parcourt les grandes villes où son image muette passe sans donner aucun signe de sa muette bienfaisance, l’argent et l’airain pavent les chemins enrichis de pieuses largesses, et une neige de roses, une nuée de fleurs ombrage la Mère des dieux et son cortège. (2, 630) Alors une troupe d’hommes armés, que les Grecs nomment Curètes de Phrygie [630], dansent entrelacés, se mêlent au hasard, et bondissent en mesure, tandis que leur sang coule comme des larmes. Ils agitent, en secouant la tête, des aigrettes terribles, semblables aux Curètes quand ils étouffaient jadis les vagissements de Jupiter caché dans la Crète ; car on raconte que ces jeunes prêtres, environnant le jeune dieu de leur danse rapide, les armes à la main, choquaient en cadence le fer contre le fer, de peur que Saturne, découvrant son asile, ne le livrât à sa dent cruelle, et ne fît au cœur de sa mère une éternelle blessure. (2, 640) Voila pourquoi des gens armés accompagnent la Mère des dieux ; ou peut-être veut-on nous dire que cette déesse prescrit aux hommes de défendre par les armes et avec courage le sol natal, et de se préparer à être le soutien et la gloire de leur famille.

Quelque ingénieuses et belles que soient ces fables, elles s’écartent du vrai, la raison les repousse. Car il faut que les dieux, par leur nature même, jouissent dans une paix profonde de leur immortalité, loin du contact des choses humaines, et dans un monde séparé du nôtre : là, exempts de douleur, exempts de périls, (2, 650) ils se suffisent, ils ne demandent rien aux hommes ; la vertu ne les gagne point, et la colère ne peut les toucher. La terre, au contraire, a toujours été une masse insensible ; mais, comme les éléments de mille choses y sont enfermés, elle met au jour mille corps éclos de mille façons diverses. Au reste, si on se plaît à dire Neptune pour la mer, Cérès pour les moissons, et si on préfère le nom de Bacchus au mot propre de vin, consentons aussi à ce que la terre, cet immense globe, soit appelée la Mère des dieux, pourvu que sa vraie nature lui demeure.

(2, 660) Souvent on voit paître dans les mêmes herbages les troupeaux chargés de laine, la race belliqueuse des chevaux, et les génisses armées de cornes ; le même ciel les abrite, les mêmes sources apaisent leur soif ; et pourtant ces espèces diffèrent, elles gardent la nature qui les a produites, et chacune suit des mœurs distinctes : tant il est vrai que toutes les herbes contiennent des atomes différents, ainsi que toutes les sources. De même, parmi tous ces êtres, chacun est formé de parties analogues, les os, le sang, les veines, la chaleur, les humeurs, les entrailles, les nerfs. (2, 670) Et pourtant elles ne se rassemblent pas, parce que la forme de leurs éléments varie.

Les substances enflammées que le feu dévore doivent, au moins, nourrir dans leur sein des atomes qui leur permettent de vomir la flamme, de répandre la lumière, de faire jaillir les étin-