Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/58

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du vide le met en lumière. Mais alors, si nous sommes environnés de ces étendues sans limites, où des atomes sans nombre ni mesure voltigent de mille façons, agités par un mouvement éternel, est-il vraisemblable, peut-on croire que notre ciel et notre globe terrestre soient leur seul ouvrage, que ces milliers de corps élémentaires demeurent oisifs au delà du monde ? surtout quand on pense que le monde sort des mains de la nature ; que les atomes, sans impulsion ni règle, ni but, ont engagé mille batailles aventureuses et stériles, (2, 1061) avant de former enfin ces assemblages rapides qui sont devenus la base des grands êtres, comme la terre, les ondes, le ciel, les espèces vivantes. Je le répète donc, et tu dois en convenir, il existe dans les autres parties du vide des amas pareils à celui que tient embrassé le vaste réseau des airs.

En outre, quand les atomes abondent, quand ils ont un espace libre, quand aucun obstacle ne les arrête, les atomes agissent nécessairement, et composent des êtres. (2, 1070) Or, si la masse des éléments est telle que toute la vie des hommes ne suffise point à les compter, et si tous ont part à cet élan, à cette nature capable de les amonceler en tous lieux, comme nos atomes sont amoncelés ici-bas, il faut avouer que les autres régions contiennent aussi des mondes, des peuples divers, et des animaux de toute sorte.

Ajoutons que la Nature ne produit pas de corps uniques dans leur espèce, qui naissent isolés, qui croissent solitaires : tous appartiennent à quelque famille, tous ont mille semblables. (2, 1080) Les animaux le prouvent, et tu le remarqueras surtout chez les bêtes errantes des montagnes, chez la race des hommes au double sexe, chez le peuple muet des ondes, et chez les êtres qui volent. Aussi, pour la même raison, es-tu forcé de reconnaître que la terre, le ciel, le soleil, la lune, la mer, tous les corps enfin ne sont pas uniques, mais plutôt infinis en nombre ; car leur existence doit avoir aussi des bornes infranchissables, et ils se composent de substance qui naît et meurt, aussi bien que les espèces les plus fécondes.

(2, 1090) Si tu te pénètres bien de ces vérités, aussitôt la Nature te paraît libre : plus de maîtres superbes ; elle seule fait tout, et de son propre fond, sans que les dieux y mettent la main. Car, je vous atteste, divinités saintes, âmes tranquilles, et qui passez dans un calme sans fin une vie sans orage, qui de vous est capable de gouverner le tout immense, de tenir avec mesure les fortes rênes du vaste univers ? Qui peut faire que mille cieux tournent ensemble, que leurs feux échauffent et fécondent mille terres ? (2, 1099) Qui peut être sans cesse répandu dans toute la nature, pour étendre le sombre voile des nuages sur la face riante des airs, et les ébranler avec la foudre retentissante ? La foudre jaillit-elle de vos mains quand elle renverse vos temples, quand elle va se perdre dans les solitudes où sa fureur éclate, quand ses traits aveugles passent auprès des coupables, et donnent la