Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/61

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Après avoir enseigné ce que sont les éléments de toutes choses, et sous combien de formes diverses ils tourbillonnent d’eux-mêmes, en proie à une agitation éternelle, et comment tout peut naître de leur assemblage, je crois que désormais il faut éclaircir dans mes vers la nature des esprits, des âmes, et replonger au néant cette peur de l’Achéron, qui trouble jusque dans le fond de ses sources la vie des hommes, en y répandant partout la sombre teinte de la mort, et qui ne (3, 40) laisse pas de jouissances pures et limpides.

Souvent, il est vrai, des hommes proclament que les maladies et une vie infâme sont plus à craindre que les abîmes du trépas : ils savent que les âmes sont de la même nature que le sang [43], ou même que l’air, suivant leur bon plaisir, et ils n’ont que faire de nos enseignements. Mais tu vas reconnaître que ces fières paroles leur échappent moins par conviction que par gloire : vois les mêmes hommes chassés de leur patrie, rejetés bien loin de la vue des autres, souillés de honteuses accusations, (3, 50) accablés enfin de toutes les misères… Ils vivent ; et, en quelque lieu que le malheur les pousse, ils enterrent leurs morts, ils immolent des brebis noires, ils sacrifient aux dieux mânes ; et ces amertumes ne font que rendre leur esprit plus ardent à la superstition. Il faut donc attendre les épreuves du péril pour examiner un homme, et la mauvaise fortune pour le connaître ; car alors le cri de la vérité part enfin de nos poitrines : le masque tombe, l’homme reste.

Enfin, la soif de l’or et la passion aveugle des honneurs [59], (3, 60) qui poussent les misérables humains à franchir les limites du droit, instruments ou complices des crimes, et à se consumer nuit et jour en efforts immenses pour atteindre le faîte des richesses : ces plaies de la vie ne sont alimentées presque que par la peur de mourir. Car le mépris infâme, la dure misère, semblent incompatibles avec une existence douce et assurée : ils se tiennent, en quelque sorte, devant les portes de la mort. Aussi les hommes, emportés par de fausses alarmes, veulent-ils sans cesse les fuir et les repousser sans cesse : (3, 70) le sang de leurs concitoyens engraisse donc leur fortune ; leurs mains avides entassent et les trésors et les meurtres ; ils suivent avec une joie cruelle le triste convoi de leurs frères, ils détestent et craignent la table de leurs proches !

La même cause, la même peur dessèche les envieux. Ils voient des hommes qui peuvent tout, des hommes qui attirent les yeux et marchent tout brillants de gloire ; eux, au contraire, ils se roulent dans les ténèbres et la boue : leurs plaintes éclatent alors ; et la plupart meurent pour acquérir un nom, une statue. (3, 79) Souvent même la crainte de mourir dégoûte les humains de vivre, de voir la lumière : ces âmes désespérées recourent à la mort, oubliant que la source de leurs peines est cet effroi que la mort inspire ; que lui seul