Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/62

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attaque leur honneur, lui seul brise les nœuds de leur amitié, lui seul bouleverse toutes les choses saintes : car souvent des hommes trahissent et leur pays et leur chère famille, pour échapper aux gouffres du Tartare.

Comme les enfants qui tremblent et que tout effraye dans la nuit aveugle, nous sommes assiégés, au grand jour, de mille terreurs non moins vaines que celles (3, 90) que les enfants timides se forgent au sein des ombres. Or, pour dissiper cet effroi des âmes et ces ténèbres, il ne suffit pas des rayons du soleil, ou des traits éblouissants du jour : il faut la raison, et un examen lumineux de la nature.

J’affirme d’abord que l’esprit des hommes, ou, comme nous l’appelons souvent, leur intelligence, qui est le siège du jugement et le guide de la vie, ne forme pas moins une portion de leur être que la main, le pied, ou les yeux, ne sont des parties du tout vivant.

En vain une foule de sages croient-ils que le sens intellectuel n’a point une, demeure particulière, (3, 100) mais que c’est une disposition vivifiante de la masse, nommée par les Grecs Harmonie [101], parce que, sans être nulle part, il anime tout ; et comme nous disons un corps plein de santé, quoique la santé ne soit pas une partie du corps, ils refusent au sens intellectuel une place fixe. Mais ils se détournent et se perdent, ce me semble, loin du vrai. Souvent le corps, enveloppe visible, souffre, quand la joie règne dans la partie cachée ; souvent, au contraire, (3, 110) les tourments du cœur accompagnent à leur tour les jouissances du corps : ainsi que, chez un malade, la douleur attaque le pied sans atteindre la tête.

D’ailleurs, lorsque les membres cèdent au doux abattement du sommeil, et que le corps étendu repose lourd et insensible, il y a en nous un second être que mille mouvements agitent alors, et qui éprouve les tressaillements de la joie ou de vaines inquiétudes.

Maintenant veux-tu savoir que les corps renferment aussi des âmes, et ne demeurent pas toujours en harmonie ? (3, 120) Souvent il nous arrive de perdre la moitié du corps, et la vie ne quitte pas le reste ; mais quelques atomes de chaleur qui se dissipent, un souffle que nos bouches rejettent, la chassent tout à coup des os et des veines. Tu peux en conclure que tous les atomes ne sont pas également occupés, également propres à soutenir la vie ; mais que les éléments de l’air ou de la vapeur chaude travaillent mieux à la fixer dans les membres. Le corps renferme donc une chaleur, un souffle vital, qui abandonnent les membres où la mort pénètre.

(3, 131) Puisque nous avons découvert la vraie nature de l’esprit et de l’âme, comme partie des hommes, rends aux Grecs leur Harmonie, mot emprunté aux bois harmonieux de l’Hélicon, ou pris ailleurs, et appliqué par eux à une chose qui manquait sans doute de terme propre. Quel que soit ce mot, qu’ils le gardent ; et toi, écoute le reste de mes paroles.

Je dis à présent que l’esprit et l’âme sont in-