Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/63

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séparables et font une même substance. Mais le jugement, que nous appelons esprit ou intelligence, en est pour ainsi dire la tête, et règne sur le corps entier. (3, 141) Il a sa demeure au milieu de la poitrine. C’est là, en effet, que bondissent la peur, le saisissement, ou la joie caressante : c’est donc là que l’intelligence, que l’esprit habite. Le reste de sa substance, l’âme, disséminée dans la masse, lui obéit et se meut quand il lui fait signe, quand il la pousse. Lui seul a conscience de soi et jouit de son être, sans que rien émeuve ni le corps ni les âmes : et comme les yeux ou la tête souffrent les atteintes du mal sans que tout le corps endure le même supplice, (3, 150) de même le chagrin le blesse, la joie le ranime, tandis que son autre moitié dort au fond des membres, et que nul changement ne la trouble. Mais quand une peur trop forte bouleverse l’esprit, on la voit se communiquer à l’âme dans tous les organes : la sueur inonde les corps qui pâlissent, les mots se brisent sur la langue, la voix expire, les yeux se troublent, les membres défaillent, et souvent même la peur terrasse les hommes. Il est donc facile de voir (3, 160) le lien qui joint l’esprit à l’âme : l’âme que l’esprit a frappée frappe le corps à son tour et le pousse.

La même raison indique que tous deux sont de nature corporelle. Car ils agitent les membres et les arrachent au sommeil ; ils altèrent le visage des hommes, ils maîtrisent et bouleversent tout leur être ; mais ils ne peuvent agir sans toucher, ni toucher sans corps : avouons donc que l’esprit et l’âme sont une substance corporelle.

D’ailleurs ils souffrent avec le corps, (3, 170) ils partagent ses impressions. Ne le vois-tu pas ? un trait cruel fend les os, les nerfs, et pénètre sans attaquer la vie : quel abattement succède ! le sol nous attire, tomber est doux, et la chute plonge nos âmes dans un vertige combattu par une vague résolution de se lever. Il faut donc que les esprits soient de la nature des corps, si un corps, si un dard les atteint et les blesse.

Mais alors de quelle substance, de quels éléments se forment-ils ? je vais en rendre compte.

(3, 180) J’avance d’abord que c’est un amas délié d’atomes imperceptibles : pour te convaincre de ce fait, observe que tu ne vois rien agir aussi vite que les intelligences décident et opèrent. Elles surpassent donc en vitesse tout ce que la Nature met à portée de nos yeux. Or, pour être si légères, elles doivent avoir des germes ronds et du moindre volume, de sorte que le moindre choc les ébranle, les agite. (3, 190) Les eaux coulent, un rien les soulève, parce que leurs atomes sont roulants et fins ; au contraire, la substance plus compacte du miel épanche moins vite ses ondes paresseuses, parce que tout est mieux enchaîné, parce que la masse se compose de parties moins lisses, moins