Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/70

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que des remèdes la calment : tant la raison et la vérité heurtent un faux système, lui coupent toutes les issues, et le repoussent avec un dilemme qui confond le mensonge.

Souvent, enfin, nous voyons un homme s’en aller peu à peu. Il perd membre par membre le sentiment et la vie. Le pied commence : ses doigts, ses ongles deviennent livides. Puis, il meurt avec la jambe. Puis, les froides empreintes de la mort gagnent successivement le reste. (3, 530) Or, comme les âmes sont aussi morcelées, et que leur existence ne demeure pas tout entière, tu dois les croire périssables. Diras-tu : Elles peuvent se replier au sein des membres, et concentrer leurs atomes sur un même point, qui absorbe tout le sentiment du corps ? Mais un lieu qui contient un amas si riche de matière vivante déploie nécessairement une sensibilité plus exquise. Ce lieu, où est-il ? Nulle part : il faut donc, comme nous le disions, que nos âmes en lambeaux se dispersent hors de nous ; et, par conséquent, elles meurent.

Bien plus, si je veux admettre ton idée fausse, (3, 540) si je leur accorde le pouvoir de se ramasser dans le corps des hommes qui abandonnent le jour, et qui expirent en détail, tu seras pourtant obligé de convenir que les âmes sont mortelles. Peu importe comment elles meurent, et si elles sont éparpillées au vent ou étouffées en masse, puisque chez un homme le sentiment expire peu à peu dans tous les organes, et que dans tous la vie diminue, diminue sans cesse.

D’ailleurs, elles font partie du corps humain, elles ont leur poste fixe, leur asile déterminé, comme les oreilles, les yeux, et les autres sens qui gouvernent la vie. (3, 550) Mais les yeux, la main ou les narines, isolés du reste, sont incapables de sentir et de vivre ; la corruption gagne bientôt ces matières abandonnées : de même les esprits ne peuvent exister à part et sans les hommes, sans le corps, qui en est au moins le vase, si on ne trouve pas de rapports plus intimes entre deux substances qui se tiennent enchaînées.

À cette liaison elles doivent leur force, leur activité, et la jouissance de la vie. (3, 559) Un esprit sans corps, un esprit abandonné à sa nature, peut-il engendrer le mouvement vital ? Un corps sans âme peut-il avoir quelque durée, ou faire usage de sens ? Non : comme les yeux que tu déracines et que tu isoles du corps entier, perdent la vue ; de même les âmes, réduites à elles-mêmes, se montrent impuissantes. Car tant que leurs atomes, mêlés à la substance des veines, des entrailles, des os, des nerfs, et emprisonnés par la masse, ne sont pas libres de rejaillir à de vastes intervalles, elles se contiennent et se plient (3, 569) au mouvement vital : mouvement qui leur est impossible dans le vide des airs, où la mort les rejette, parce que les obstacles tombent devant elles. Autant dire que l’air seul enfante les corps animés, si les âmes y maintiennent leur assemblage, si elles y bornent leur essor au mouvement accompli jusque-là dans les nerfs et dans le corps lui-même. Je le répète donc, après la ruine de