Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/80

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Scipion, ce foudre de guerre, la terreur de Carthage, a rendu ses ossements à la terre, comme le dernier des esclaves.

Ajoute ceux qui inventèrent les sciences et tous les charmes de la vie ; (3, 1050) ajoute les compagnons des Muses : Homère, qui règne sur eux sans partage, ne dort-il pas du même sommeil que les autres ?

Enfin Démocrite, quand sa vieillesse, déjà mûre pour la tombe, l’avertit des langueurs de son âme qui s’oubliait elle-même, alla au-devant de la mort, et lui offrit volontairement sa tête.

Épicure lui-même s’éteint, au couchant de la vie : Épicure, dont le génie plana au-dessus des hommes, et éclipsa tous les astres, comme le soleil levant, ce roi des airs !

Et tu hésites, et tu meurs avec indignation, toi qui as déjà une vie morte, ne vivant que pour te voir mourir, (3, 1060) toi qui uses dans le sommeil la plupart de tes heures ; qui dors éveillé, la vue toujours pleine de songes ; qui portes au fond du cœur le trouble des vaines alarmes, et qui souvent ne peux démêler ton propre mal, quoique tourmenté par un affreux vertige de soucis, et de flottantes irrésolutions qui étourdissent, qui égarent ton âme !

Si les hommes, quand ils se montrent sensibles au poids qui charge leur esprit et le fatigue, savaient aussi pénétrer la cause de cet accablement, et pourquoi un tel amas de misères écrase leurs poitrines, (3, 1070) ils ne vivraient pas comme font la plupart sous nos yeux ! Que veulent-ils ? Aucun ne le sait, ils le cherchent toujours ; ils se remuent : espèrent-ils donc secouer ce fardeau ?

Souvent un homme, fatigué du logis, abandonne sa vaste demeure pour y rentrer aussitôt ; car il ne trouve rien de mieux au dehors. Puis il lance ses chevaux et court précipitamment à sa terre, comme pour voler au secours de son toit qui brûle. Mais à peine touche-t-il le seuil, que déjà il bâille ; ou bien il tombe dans le sommeil, sous le poids des ennuis, et cherchant à oublier ; (3, 1080) ou même il reprend sa course, et va revoir la ville [1080].

Tous se fuient de la sorte. Leur arrive-t-il de ne pouvoir échapper ? captifs malgré eux, ils se détestent, parce que ce sont des malades qui ne saisissent pas la cause de leur mal. Si on y voyait clair, on quitterait toutes choses pour s’appliquer d’abord à connaître la nature ; car c’est une éternité, et non pas une heure, qui nous embarrasse : c’est l’état où demeureront les hommes pendant le reste des âges qui suivent la mort.

Enfin pourquoi, dans les incertitudes du péril, (3, 1090) un ardent et fol amour de la vie nous cause-t-il tant d’alarmes ? Il faut, mortel, il faut que ton existence finisse : tu ne peux éviter le seuil de la mort.

Au reste, comme nous séjournons éternellement parmi les mêmes choses, tu as beau vivre, tu ne te forges pas de nouveaux plaisirs. Non ; mais tant que les objets de nos désirs sont encore loin de nous, ils nous semblent bien au-dessus du reste : puis, nous les tenons à peine que nous aspirons à un autre bien ; et nous sommes toujours haletants de la soif de vivre, quoique tou-