Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/81

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jours incertains du sort que nous amènent les jours à venir, et des hasards qui accourent avec eux, et de la fin qui nous menace.

(3, 1100) D’ailleurs, en prolongeant ta vie, tu n’ôtes rien à la durée de ta mort, et tu ne peux entamer ce néant, ou parvenir à être moins longtemps sa proie. Vis donc, et que devant toi mille siècles se couchent : cette mort n’en demeurera pas moins éternelle ; et il y aura un aussi long assoupissement pour l’homme qui a éteint sa vie avec le soleil d’hier, que pour cet autre qui a disparu il y a des mois, il y a des années.





LIVRE IV.


(4, 1) Je parcours les sentiers des Muses qui ne sont point encore battus, et que nul pied ne foule. J’aime à m’approcher des sources vierges, et à y boire ; j’aime à cueillir des fleurs nouvelles, et à me tresser une couronne brillante là où jamais une Muse ne couronna le front humain : d’abord, parce que mes enseignements touchent à de grandes choses, et que je vais affranchissant les cœurs du joug étroit de la superstition ; ensuite, parce que je fais étinceler un vers lumineux sur un sujet obscur, et que je revêts tout des grâces poétiques. (4, 10) Ce n’est pas sans raison. Les médecins, pour engager les enfants à boire la repoussante absinthe, commencent par enduire les bords du vase d’un miel pur et doré, afin que leur âge imprévoyant se laisse prendre à cette illusion des lèvres, et qu’ils avalent ce noir breuvage, jouets plutôt que victimes du mensonge ; car ils recouvrent ainsi la vigueur et la santé. De même, comme nos leçons paraissent amères à ceux qui ne les ont point encore savourées, (4, 20) et rebutent la foule, j’ai voulu, empruntant la voix harmonieuse des Muses, les dorer en quelque sorte du miel de la poésie : j’essaye de retenir ton âme suspendue à nos vers, jusqu’à ce que toute la Nature lui apparaisse, et qu’elle sente l’importance de nos études.

Tu sais déjà ce que sont les éléments de toutes choses, et sous combien de formes diverses ils tourbillonnent d’eux-mêmes, en proie à une agitation éternelle ; (4, 29) tu as vu la nature des âmes, et à quoi tient leur énergie quand elles sont ajustées aux corps, et quels déchirements les font retomber en atomes : maintenant abordons ce qui a essentiellement trait à ces matières. Il existe des objets que nous appelons images. Espèces de membranes enlevées à la surface des corps, elles voltigent çà et là dans les airs, elles assiègent nos veilles, elles épouvantent nos cœurs même durant la nuit, alors que nous apercevons des spectres étranges, et les fantômes de ceux qui ont perdu le jour : (4, 40) horribles visions, qui nous arrachent souvent aux langueurs du sommeil. Ainsi ne va pas croire que ce soient là des âmes échappées du Styx, des ombres qui