Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/93

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Ensuite, les jouissances du goût finissent au palais : (4, 630) une fois que les sucs, descendus par la gorge, coulent épars dans les membres, aucune volupté ne les accompagne. Et peu importe la nature des aliments qui vont enrichir ta substance, pourvu que les matières absorbées se cuisent, que tu puisses les distribuer au corps, et entretenir dans ton estomac le cours des humeurs digestives.

Maintenant expliquons pourquoi le suc nourricier agit diversement sur divers êtres ; pourquoi un corps amer et repoussant, au goût des uns, ne laisse pas de sembler exquis à d’autres ; pourquoi enfin ces différences, ces oppositions si vives, que les uns trouvent un aliment où les autres voient un poison énergique. (4, 640) Ainsi le serpent, atteint de notre salive, dépérit et s’achève lui-même de ses propres morsures ; ainsi l’ellébore, poison mortel aux hommes, accroît l’embonpoint des chèvres et des cailles.

Veux-tu en démêler la cause ? Rappelle-toi ce que nous avons dit plus haut sur les mille combinaisons qui enchaînent les atomes dans les êtres. Or, comme tous les animaux qui se nourrissent ont mille différences extérieures, et que la coupe des membres, la surface qui borne leur assemblage, tient à leur espèce, (4, 650) les germes doivent avoir la même condition, la même variété de formes. Et si les germes diffèrent, il est indispensable que les ouvertures, les canaux que nous appelons des pores, varient dans tous les membres, et jusque dans le palais et la bouche : les uns doivent être plus étroits, les autres plus larges ; il existe nécessairement des carrés et des triangles, des ronds, et mille polygones de mille sortes. Ne faut-il pas, en effet, que la combinaison et le mouvement des atomes varie la structure des pores, et que les ouvertures soient modifiées par le tissu qui les enveloppe ? (4, 660) Donc, lorsque tu vois un mets exquis pour les uns et amer pour les autres, sa douceur tient aux atomes qui roulent, caressants et lisses, dans les conduits du palais ; au lieu que les âcres impressions du même corps accompagnent les formes rudes et les crocs aigus dont il perce la gorge.

Cet exemple nous amène facilement à expliquer toutes choses. Ainsi, lorsqu’un débordement de la bile a provoqué la fièvre, ou qu’une autre cause déchaîne la fougue du mal, tout le corps est aussitôt bouleversé, tous les éléments se déplacent : (4, 670) il en résulte que les atomes de nourriture, jadis appropriés au sens, ne lui conviennent plus, et qu’il s’accommode mieux des autres, qui, en y pénétrant, sont aptes à causer un sentiment amer. Car les deux espèces se combinent dans la substance du miel [673], comme nous te l’avons souvent montré plus haut.

A présent écoute de quelle façon les odeurs gagnent et frappent les narines : je vais le dire. D’abord, il faut des corps innombrables qui roulent, qui vomissent le flot de mille parfums ; et tu dois admettre que les odeurs sont partout émanées, partout jaillissantes, partout répandues. Mais leur affinité pour les êtres varie