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LIVRE PREMIER

Vois donc si la Nature, immense réservoir
Plus riche en corps premiers que nos langues en lettres,
N’a pas de quoi suffire à l’infini des êtres.

Anaxagore enfin, qu’il nous faut aborder,
Sur l’Homœomérie a voulu tout fonder,
Nom grec qu’en notre langue aucun mot ne peut rendre,
840Mais système explicable et que tu vas comprendre.
Il enseigne qu’un os est fait de petits os,
Que des gouttes de sang du sang forment les flots,
Qu’un viscère est construit de minimes viscères,
Que la terre consiste en plus petites terres,
Que l’or est un faisceau de molécules d’or,
Que de germes ignés la flamme prend l’essor,
Et l’eau d’atomes d’eau ; qu’ainsi, dans toute chose,
L’ensemble est identique à ce qui le compose.
Il refuse le vide aux corps en action
Et n’admet point de terme à leur division ;
Double erreur bien connue et vingt fois démontrée.
De tels germes n’auraient ni force ni durée.
S’ils sont pareils aux corps, ils ne sont rien de plus ;
Comme eux à la ruine, au trépas dévolus,
Fuiront-ils, sous la dent de la mort implacable,
L’assaut qui les poursuit, le choc qui les accable ?
Qui d’entre eux du combat sortira triomphant ?
Est-ce la terre ou l’eau, les os, ou bien le sang ?
Ni l’un ni l’autre. En eux rien d’immortel ne brave
860La manifeste loi dont tout être est esclave ;
Le néant les attend et va les engloutir.
Le néant ? rien n’y rentre et rien n’en peut sortir ;