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LIVRE DEUXIÈME

D’arborer cent couleurs pêle-mêle et sans choix ?
Que du vol des corbeaux ne tombât point parfois
Quelque blancheur subite en leur plumage empreinte ;
Qu’un germe noir soudain ou de quelque autre teinte
Ne fît point par instant du cygne un oiseau noir ?
840Eh ! bien, divise un corps en fragments : tu peux voir
Que, plus chaque parcelle est subtile et menue,
Plus la couleur s’efface en elle et s’atténue.
Ainsi, pulvérisé, s’éteint l’éclat de l’or ;
La pourpre de Sidon, plus radieuse encor,
Pâlit, quand fil à fil sa trame se dissipe.
C’est donc qu’avant d’atteindre à l’atome, au principe,
En chemin tout entière expire la couleur.

Tous les corps, n’est-ce pas ? n’émettent point d’odeur
Ou de son. Tous les corps, encor moins les atomes,
Ne possèdent donc pas des sons ou des arômes.
Chez d’autres la couleur, par la même raison,
Peut manquer, comme ici le parfum et le son.
Car l’œil ne saisit pas tous les corps. Mais l’étude
Les atteint, les connaît sans moins de certitude
Que d’autres corps privés d’autres traits distinctifs.
Et ne crois pas d’ailleurs, qu’aux éléments natifs
La couleur manque seule ; en eux rien de sonore ;
L’atome est dénué de tout suc ; il ignore
La chaleur ou la glace et la molle tiédeur ;
860Et de son propre corps n’émane aucune odeur.
Pour composer le nard à l’enivrante haleine,
Le nectar de la myrrhe et de la marjolaine,