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DE LA NATURE DES CHOSES

Le sentiment : vaisseaux, muscles, nerfs, tous mortels.
920Mais soit, ces objets mous, faisons les éternels :
Ont-ils le sens complet de corps comme les nôtres,
Ou d’un organe seul ? Or, détaché des autres,
L’organe ne sent point ce que son voisin sent ;
À sentir par lui-même il demeure impuissant :
Suppose la main seule et du corps séparée ;
Toute sensation lui sera retirée.
Reste à voir dans l’atome un instar d’animal
Doué d’un sentiment complet, total, normal.
Mais pourra-t-il encor passer pour un principe ?
S’il vit, tout ce qui vit de la mort participe :
Vivant, mortel, ce n’est qu’une chose en deux mots.
Agite, choque, unis ces germes : animaux,
Que feront-ils de plus qu’une foule vivante ?
Diras-tu que Vénus n’est point assez savante ?
Prends le bœuf, le lion, l’homme : toute union
Entre eux n’engendrera que bœuf, homme ou lion.
Mais ce sens, nous dit-on, l’atome l’abandonne ;
Il l’a ; mais il l’échange. Est-ce ainsi que l’on donne
Pour reprendre ? À quoi bon ? Au reste, quand les œufs
940En oisillons vivants éclatent sous nos yeux,
(J’avais omis ce trait), lorsque l’humide fange,
Sous le ferment des eaux, en vermine se change,
Nous prenons sur le fait, et dans l’enfantement,
L’insensibilité, mère du sentiment.

Le sensible, a-t-on dit, naît bien de l’insensible ;
Mais par un changement que l’essence invisible