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LIVRE TROISIÈME

100D’abord, l’intelligence, ou, sous un autre nom,
L’esprit, guide et conseil de la vie, est chez l’homme
Un organe et rien autre, une part dans la somme
Vivante, enfin ce qu’est l’œil, le pied ou le bras.

Selon les sages grecs, ce qui pense n’a pas
De siège spécial, de place définie.
C’est notre activité vitale, une Harmonie
Qui, sans demeure fixe, anime nos ressorts :
Ainsi la santé n’est que l’état sain d’un corps,
C’en est une habitude et non une partie.
Fausse comparaison, par les faits démentie !
En des points apparents le corps souffre parfois
Sans que le mal pénètre en de secrets endroits ;
Et réciproquement. Souvent l’âme est blessée,
Et tout le reste échappe au mal de la pensée ;
De même le pied souffre, et, le cas est pareil,
Le front demeure exempt des douleurs de l’orteil.
Enfin, lorsque le corps, inerte et gisant, livre
Au doux sommeil un poids qui ne se sent plus vivre,
Quelque chose est en nous qui, sous cette langueur,
120Reste ouvert à la joie, aux vains soucis du cœur,
Dont mille mouvements agitent l’insomnie.

Or ce qui vit, non plus, n’est pas une Harmonie,
C’est un membre du corps. Et comment en douter,
Lorsque tu vois la vie intacte résister
Aux mutilations, elle qu’un souffle tue,
Qui, pour quelque chaleur par les lèvres perdues,
Peut déserter soudain les veines et les os ?