Page:Lucrèce - De la nature des choses (trad. Lefèvre).djvu/177

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
109
LIVRE TROISIÈME

440Quand notre œil endormi voit fumer les autels.

Puisque de toutes parts, lorsque tombe l’amphore,
L’eau s’écoule et s’enfuit ; puisqu’en l’air s’évapore
Le contour de la flamme ou du brouillard, comment
Pourraient ne pas se fondre, et plus subitement,
Une fois séparés de la machine entière,
Les frêles éléments de l’âme prisonnière ?
Quand, vase renversé, sous les coups fléchissant,
Le corps, raréfié par la perte du sang,
N’a pu les retenir, quel obstacle à leur fuite
Pourrait opposer l’air sans forme et sans limite,
Moins dense que la chair dont il les a reçus !

D’ailleurs l’âme et le corps ensemble sont conçus ;
Nous les sentons grandir et décliner ensemble.
Au pas du frêle enfant qui vacille et qui tremble
Répond le mol essor de son mobile esprit.
L’âge, en formant le corps adolescent, mûrit
L’âme plus vigoureuse et la raison plus large.
Puis, quand les membres las ont plié sous la charge
Des ans accumulés, l’âme comme le corps
460Voit chanceler sa force et s’user ses ressorts.
C’en est fait. L’esprit boite et la langue se trouble ;
Tout croule d’une chute indivisible et double ;
Et, comme la fumée, au sortir de la chair,
L’âme s’évanouit aux profondeurs de l’air.
Elle naît, elle croît avec sa sœur jumelle,
Et sous le poids des jours elle tombe comme elle.
Enfin, l’âpre souci, la terreur, le remords