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DE LA NATURE DES CHOSES

Elle que, hors du corps, son libre vol soustrait
Aux angoisses du froid et de la faim, torture
Qu’à la chair proprement attacha la Nature,
Et qui n’atteint l’esprit que par contagion ?

Mais prenons qu’elle agisse avec intention,
Pour son bien. Par où donc penses-tu l’introduire
Dans ce nid qu’elle cherche ou s’est voulu construire ?
Non, non ; l’âme, crois-moi, ne se fait point un corps.
Et comment expliquer ces intimes accords
Qui d’une vie unique animent la personne,
Si l’âme en un corps fait, après coup, s’emprisonne ?

D’où viendrait au lion sa sauvage fierté,
Son astuce au renard, au cerf sa lâcheté,
760Héritage de peur transmis par ses ancêtres,
Ces instincts implantés en chaque tribu d’êtres,
Qui croissent dès l’enfance avec l’âme et le corps ?
Sinon d’une loi fixe et de constants rapports ?

L’âme est la sœur du corps ; leur marche est parallèle.
Que si de forme en forme errait l’âme immortelle,
On verrait les instincts au hasard confondus ;
Au vol de la colombe on verrait éperdus
Frissonner les autours, et fuir devant l’audace
Des cerfs haut encornés les molosses de Thrace,
Et la raison passer de l’homme aux animaux.
Ils nous disent encore (et ce sont de vains mots) :
« L’âme immortelle change en changeant de demeure. »