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LIVRE TROISIÈME

Trois signes marquent seuls l’éternité des choses :
L’unité, pleine, intense, impénétrable aux causes
De dissolution, aux assauts destructeurs
(C’est l’attribut des corps premiers et créateurs) ;
L’inanité sans borne où nul effort n’a prise
(C’est le vide parfait que nul choc ne divise
Et qui subsiste, libre, intact et permanent) ;
Le défaut absolu d’espace environnant
Où la dispersion éclate et se consomme
(C’est le propre du Monde : où recueillir la somme
Des univers ? quels chocs la dissoudraient ? quels corps 840
Tomberaient sur ses flancs ? Rien n’existe en dehors).
Eh ! bien, cette unité, la trouvons-nous dans l’âme ?
Non. Tu sais que le vide est infus dans sa trame.
Cette inanité ? Non. Les corps ne manquent pas
Non plus, dont les assauts puissent jeter à bas
Sa fière forteresse et déchaîner sur elle,
Du fond des horizons, la déroute mortelle ;
À sa chute, à sa fuite enfin, à ce que perd
Sa force, l’infini de l’espace est ouvert.
La porte de la mort lui serait donc fermée ?

Contre les chocs mortels la croirons-nous armée,
Et l’élèverons-nous à l’immortalité,
Parce que plus d’un coup par chance est écarté
Avant d’avoir lésé le sens intime, ou cède
À l’efficacité douteuse d’un remède ?
Ô sophisme illusoire ! outre les maux du corps,
Dont elle souffre, l’âme a les siens : le remords
Qui la ronge, l’ennui, l’effroi qui la consume,