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LIVRE TROISIÈME

Et l’infini travail des atomes, les sages
Admettront que, parfois, leurs divers mouvements
Dans le même ordre aient pu grouper nos éléments ;
Mais ce sont des retours que l’esprit ne peut suivre ;
Entre eux le fil se rompt ; la mort passe et délivre
De la chaîne des sens les atomes épars.

Qui sait ce que les ans nous gardaient de hasards ?
Il faut, pour le subir, passer où le mal tombe ;
Quels coups pourrons-nous donc redouter dans la tombe ?
Viennent les maux futurs, nous en serons exempts,
Comme les morts anciens le sont des maux présents.
Qui n’est pas ne craint point des soucis qu’il ignore,
Et qui n’est plus ressemble à qui n’est pas encore.
Si la vie est mortelle, immortelle est la mort.

900Quand tu vois un vivant s’attendrir sur son sort,
Tremblant qu’il faille un jour moisir sans sépulture
Ou de monstres hideux endurer la morsure,
Sache qu’un sourd désir lui tient encore au cœur :
Il a beau s’en défendre, il en traduit l’erreur ;
Et sa conclusion, quoi qu’il en ait, dévie.
Il ne sait pas sortir pleinement de la vie ;
Il en garde un débris, une ombre, on ne sait quoi
Qui dure et se dérobe à l’éternelle loi.
Vivant, il se voit mort et gémit sur sa perte.
Il ne peut s’arracher de ce cadavre inerte,
Et s’indigne et se plaint d’être créé mortel.
Victime et spectateur, en son rêve cruel,
Il se fait le festin du loup et de l’orfraie ;