Page:Lucrèce - De la nature des choses (trad. Lefèvre).djvu/197

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
129
LIVRE TROISIÈME

Et la vie à jamais se transmet d’âge en âge :
Elle n’est à personne, et tous en ont l’usage.

Songe de quel néant furent pour nous remplis
1000Tant de siècles anciens avant nous accomplis ;
Regarde en ce miroir que t’offre la Nature,
Par delà le tombeau, l’antiquité future !
Qu’y vois-tu ? Rien d’horrible ; une sécurité
Dont nul sommeil ne vaut le calme illimité.

Quant à ces châtiments qui bordent le Cocyte,
Ils sont ici : l’enfer en nos cités habite.
Ce fabuleux captif, vainement éperdu
Sous l’énorme rocher dans les airs suspendu,
Est-ce Tantale ? Non. C’est le visionnaire
Tremblant sous le destin comme sous le tonnerre ;
Ce rocher menaçant, c’est la crainte des dieux !
Ce géant Tityos, dont le corps spacieux
Sert d’antre au peuple ailé dont la rage le fouille.
Est ce un titan couché jonchant de sa dépouille
Neuf arpents dévastés ? Couvrît-il l’univers,
Crois-tu que sa poitrine et ses membres ouverts
Pussent jamais suffire à l’éternelle peine ?
Non. C’est l’homme abattu sur qui le sort déchaîne
Les soucis dévorants, les cuisantes amours,
1020Tout ce que le désir enfante de vautours !

Sisyphe est sous nos yeux ; il lutte, il tente, il brigue
La hache et les faisceaux, qui narguent sa fatigue ;
Et sans trêve il poursuit ce néant du pouvoir,