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DE LA NATURE DES CHOSES

Pour retomber vaincu du haut de son espoir.
N’est-ce pas, en dépit de la pente rebelle,
Pousser vers une cime un rocher qui chancelle
Et qui, près de s’asseoir aux suprêmes sommets,
Roule, fuyant le but qu’il n’atteindra jamais ?

Dans l’âme, sans combler sa renaissante envie,
Incessamment verser les bienfaits de la vie,
Comme fait tous les ans le retour des saisons
Qui rendent aux humains les fruits et les moissons,
N’est-ce point ressembler aux vierges Danaïdes
Qui remplissaient toujours des vases toujours vides ?

Il n’est point d’Erinnys et de chien à trois corps :
C’est le spectre du crime et l’ombre du remords.
L’Érèbe ténébreux et la funeste haleine
Que vomit en vapeurs sa gueule souterraine,
C’est la terreur que traîne après soi le forfait.
1040L’âme du scélérat de tourments se repaît :
Verges, bourreaux, gibets, tenailles, poix en flamme
L’assiègent. Rêve affreux ! Sous lui la roche infâme
Manque, il tombe ! À défaut du juge et du licteur,
La conscience est là, qui veille dans son cœur.
Sous l’aiguillon secret, sous le fouet implacable,
Il ne voit pas de terme à l’effroi qui l’accable ;
Il tremble que la mort ne double encor ses maux.
De là cet Achéron, ces monstres infernaux
Que de leur propre vie animent les crédules.

Ô toi qui sur le bord de la tombe recules,