Page:Lucrèce - De la nature des choses (trad. Lefèvre).djvu/209

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
141
LIVRE TROISIÈME

Se dégagerait-il moins naturellement
Que tant d’émissions visibles et réelles ?
Je le répète : il est des images jumelles.
Simulacres subtils des choses ; le miroir
Les rassemble en son tain, les renvoie, et fait voir
Ce dont l’isolement dérobe aux yeux la trace.
Sinon, par quel hasard sur la claire surface
L’objet si nettement serait-il imité ?

L’essence de l’image est la ténuité ;
Il n’entre en son tissu que des fils impalpables,
Plus au delà des sens et plus insaisissables
Que le point où des yeux expire le pouvoir.
Rien de moins surprenant pour qui sait concevoir
L’infimité des corps dont se sert la Nature.

Songe à ces animaux de si faible stature
Que nul effort n’atteint le tiers de leur grosseur ;
120Qu’est donc leur intestin, le globe de leur cœur ?
Et leurs membres divers ? leurs attaches ? la trame
Qui doit constituer leur esprit et leur âme ?
Quels éléments subtils ! quels infimes ressorts !
Mais frôle seulement quelque herbe dont le corps
Dégage une acre odeur, l’auronne au rude arôme,
La centaurée amère, ou l’absinthe, ou le baume ;
Aussitôt monteront par impalpables jets
Ces effluves sans nombre, images des objets,
Fragments si déliés de ce qui les exhale
Qu’à saisir leur essence infinitésimale