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XV
PRÉFACE

Seule, l’aigre voix d’un pédagogue détonne dans ce chœur voilé d’admiration qui s’élève autour de Lucrèce. Quintilien, d’ordinaire plus sage, a le mauvais goût de comparer le grand poëte avec je ne sais quel versificateur du nom de Macer.

Nous aurions trop à faire de chercher dans Bacon, dans Montaigne, dans Gassendi, dans Bossuet même, et au siècle suivant dans Voltaire, Diderot, André Chénier, sans parler de l’Anti-Lucrèce du cardinal de Polignac, fort goûté de M. Patin, le souvenir, l’influence, l’imitation du De natura. De nos jours, on est bien forcé de reconnaître que la plupart des opinions de Lucrèce sur les corps, sur la constitution générale de l’univers, sur la vie et la mort, forment le fond même de la pensée, du sens commun. On se rejette sur la prétendue tristesse du système, comme si la tristesse était autre chose qu’un caractère individuel et subjectif. On a beau jeu contre les erreurs scientifiques d’un homme, ou plutôt d’un temps où la science n’existait pas ; nous les mentionnerons plus loin. Il est toutefois une contradiction prétendue très sincèrement alléguée contre le système, et qu’il importe de réduire ici à sa juste valeur.

Diogène de Laërte nous a conservé quelques paroles d’Épicure qui semblent impliquer un certain dédain pour la science. Aussitôt la critique s’en empare, c’est son droit, et s’étonne que l’auteur d’une doctrine fondée sur l’expérience scientifique fasse bon marché de son propre principe. Ainsi, au moment même où il va reconnaître que la théorie atomique,