Page:Lucrèce - De la nature des choses (trad. Lefèvre).djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
154
DE LA NATURE DES CHOSES

460Quand le dessous de l’œil par un doigt est pressé,
Une illusion naît qui double toute chose :
Double est la fleur de feu sur les flambeaux éclose,
Doubles sont les lambris et les meubles voisins ;
Les gens prennent deux corps, deux visages distincts.

Quand de ses doux liens le sommeil nous enchaîne,
Plongés dans le néant de sa torpeur sereine,
Nous croyons par instant veiller et nous mouvoir,
Et, dans un lieu fermé, sous l’aveugle nuit, voir
Le jour et la splendeur du soleil ; les murs s’ouvrent ;
Des champs où nous courons à nos yeux se découvrent,
Et des mers et des monts, et l’horizon qui fuit.
Muets dans le silence austère de la nuit,
Nous percevons des voix qui frappent nos oreilles,
Et nous y répondons. Combien d’autres merveilles
S’efforcent d’ébranler la foi qu’on doit aux sens !
Mais c’est en vain. Les sens demeurent innocents.
C’est nous qui leur prêtons ces fictions des songes.
Distinguer le fait vrai de nos propres mensonges
Et ce qu’ont vu les sens de ce qu’on leur fait voir,
480Il n’est pas, crois-le bien, de plus rare savoir.

Mais « nous ne savons rien » ; quelques-uns le soutiennent.
Ceux-là ne savent rien, eux-mêmes en conviennent :
Ils ne savent donc pas si l’homme sait ou non.
Mais soit. (Qu’irions-nous dire aux gens qui trouvent bon
D’aller à reculons en marchant sur la tête ? )
Soit, ils savent cela. Mais d’où, je le répète,
Eux pour qui rien n’est vrai de ce qu’ils ont cru voir,