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DE LA NATURE DES CHOSES

Sous l’assaut de la bile ou de quelque autre humeur,
Tout entière n’est plus que trouble et que rumeur,
L’ordre des éléments s’altère. Les fluides
Naguère appropriés à la forme des vides
Sont exclus, et les corps acerbes et blessants
Entrent seuls dans ce crible où réside le sens.
Or plus d’un mets, le miel par exemple, comporte
Des germes savoureux de l’une et l’autre sorte.

Je passe maintenant aux odeurs. Et d’abord,
Comment énumérer les substances d’où sort,
Pour ondoyer aux vents, le flux léger d’aromes
Qui sans fin coule et roule en tourbillons d’atomes ?
Ces corps, selon leur forme, aux odorats divers
700Conviennent plus ou moins : ainsi, du fond des airs,
L’abeille vole au miel dont le parfum l’attire,
Le vautour au cadavre ; ainsi la meute aspire,
En avant du chasseur, les fumets répandus
Sur le sol où passa la proie aux pieds fendus ;
L’oie aux ailes d’argent, la gardienne de Rome,
Évente et reconnaît de loin l’odeur de l’homme.
Chaque espèce a son flair, dont l’avertissement,
L’écartant du poison, la guide à l’aliment.
Le flair est le salut des tribus animées.

Ces essences dans l’air autour de nous semées
Portent plus ou moins loin ; mais jamais leur essor
Ne se compare au jet de la voix, moins encor
Au vol de ces reflets dont la vue est frappée.
Errante, paresseuse et bientôt dissipée,