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DE LA NATURE DES CHOSES

Vénus de qui te vient cette chance mauvaise ! »
Sans voir le même vice en ses propres amours.
La fétide, la sale, est simple et sans atours.
La noire a le teint brun. Pour si peu qu’elle louche,
C’est Pallas aux yeux pers. Sèche comme une souche,
C’est une biche. Naine, on la dit faite au tour,
1200C’est une Grâce, un sel attique. Est-ce une tour ?
Sa taille de géante est un port de déesse.
Bègue, elle hésite et manque un peu de hardiesse.
Taciturne, elle est digne. Elle s’en va mourir
D’étisie, elle tousse à n’en pouvoir guérir ?
C’est une langueur tendre, une fleur délicate.
Brusque, ardente, jalouse, à toute heure elle éclate ?
C’est un salpêtre. Est-elle obèse et toute en seins ?
C’est la sœur de Cérès chère au dieu des raisins.
L’une a le nez camus des sylvains et des chèvres :
On la promeut faunesse ; une autre n’est que lèvres :
C’est le baiser vivant. Je n’en finirais pas !
Et puis, je l’admets belle autant que tu voudras :
Vénus, dans tout son corps, présente, se révèle.
Mais est-elle la seule ? On a vécu sans elle.
Tout ce que fait la laide, on sait qu’elle le fait,
Que de sa propre odeur cet être si parfait
S’empeste quelquefois ; et ses femmes s’enfuient,
Et loin d’elle en cachette à pleine gorge en rient.
Cependant sur le seuil l’amant verse des pleurs ;
1220Il couvre de parfums, de couronnes, de fleurs,
Et de tristes baisers l’impitoyable porte.