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DE LA NATURE DES CHOSES

Les moissons de Cérès et ce trésor du vin
Dont Bacchus, nous dit-on, dota le genre humain ?
On pouvait s’en passer : plus d’une race encore,
L’histoire nous l’apprend, sans mourir les ignore.
Mais comment vivre bien sans la paix de l’esprit ?
20Il n’en est que plus dieu celui qui nous l’offrit,
Le doux consolateur qui, par toute la terre,
Verse aux cœurs apaisés ce baume salutaire.

Vas-tu d’Hercule aux siens comparer les travaux ?
Et comment soutenir un jugement si faux ?
Que pourrait contre nous le Lion de Némée,
(Sa mâchoire béante à cette heure est fermée ! )
Et le Taureau crétois, ou l’affreux Sanglier
D’Arcadie, ou bien l’Hydre agitant son collier
De venimeux serpents ? Qu’importerait, à Rome,
Le triple Géryon avec ses trois corps d’homme ?
Ou Diomède, fier de ses fameux chevaux
Qui, loin de nous, soufflaient le feu par leurs naseaux
Au pied du mont Ismare, en Thrace ? Et les Harpyes
Féroces, dans l’étang de Stymphale tapies ?
En vain, autour de l’arbre où luisaient les fruits d’or,
Le farouche Dragon, gardien de ce trésor,
L’œil fixe, enroulerait ses anneaux formidables,
Prés de l’onde Atlantique, aux lieux inabordables
Que le Barbare même évite comme nous !
40Tous ces monstres sont morts. Mais suppose-les tous
Invaincus et vivants : quel mal pourraient-ils faire ?
Leurs pareils à foison peuplent encor la terre ;
La montagne en regorge et les tremblants effrois