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LIVRE CINQUIÈME

N’ont même pas reçu la vitale étincelle ?

Puis, en quel lieu choisi de ce monde les dieux
160Eussent-ils établi leur séjour glorieux ?
Leur nature est subtile et passe la portée
Des sens ; par la raison à grand-peine attestée,
Pourrait-elle, impalpable et fuyant sous la main,
Toucher un seul des corps soumis au tact humain ?
Ce qui n’est point touché ne peut toucher soi-même.
Non. Subtile autant qu’eux, leur demeure suprême
S’ouvre hors de la nôtre et n’y ressemble point.
Plus longuement ailleurs j’établirai ce point.

Dira-t-on que les dieux ont pour leur créature
Voulu de l’univers combiner la structure,
Qu’il faut admirer l’œuvre adorable des dieux,
La croire impérissable, éternelle comme eux ?
Taxera-t-on d’orgueil, de forfait, la critique
Dont l’audace et l’assaut sapent la base antique
Où, pour l’humanité, les divins artisans
Assirent l’édifice invulnérable aux ans ?
Et cent fables encor, dont rit la certitude.
De quel prix est aux dieux l’humaine gratitude ?
Les dieux travailleraient pour l’homme ? Bienheureux,
180Immortels, Memmius, que pouvons-nous pour eux ?
Quel attrait supposer, enfin, qui les convie
À troubler le loisir de leur sereine vie ?
Que, las d’un sort contraire, on en veuille changer,
Soit ; mais quel souvenir, quel espoir, quel danger
Eût, dans cette existence éternellement belle,