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LIVRE CINQUIÈME

Tout m’instruirait assez que ce monde où nous sommes
N’est pas un don sacré que les dieux font aux hommes.
Non. L’ouvrage suffit à nier ses auteurs.
Parmi tout ce qu’au loin couronnent les hauteurs
Ondoyantes des cieux, que de rocs, de montagnes,
Que d’immenses marais dévorent les campagnes !
Ajoute les forêts et leurs monstres, les mers
220Qui d’un rivage à l’autre étendent leurs déserts,
Et ces frimas sans fin, ces chaleurs meurtrières
Qui prennent aux mortels deux zones presque entières.
Le reste languirait de ronces obstrué,
La Nature eût vaincu, si l’homme, habitué
À gémir sur l’outil qui du sol fend l’écorce,
À la fatalité n’eût opposé sa force.
Quelle moisson vers l’air eût frayé son chemin,
Si le robuste soc, ouvrant sous notre main
La glèbe retournée, à notre œuvre asservie,
N’eût fécondé la terre en luttant pour la vie ?
Enfin, cette moisson, ce prix de nos sueurs,
Elle couvre le sol de verdure et de fleurs :
Un excès de soleil ! et la voilà brûlée ;
Puis c’est la brusque averse ou l’inique gelée,
C’est le fouet de la trombe et les fléaux de l’air.
Et les monstres ? D’où vient que la terre et la mer,
Contre l’homme faisant assaut de perfidies,
Les propagent ainsi ? Pourquoi ces maladies
Que, chacune à son tour, les saisons vont traînant ?
240Pourquoi l’aveugle mort sur tout âge planant ?

Pareil au naufragé vomi du sein de l’onde,