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DE LA NATURE DES CHOSES

C’est ainsi que les glands sont tombés en mépris.
Les lits d’herbe et de mousse ont perdu tout leur prix.
Et les peaux, humble robe aux animaux ravie,
Dont jadis la conquête éveilla tant d’envie
Que l’inventeur, qui sait ? périt par trahison,
Et qu’entre les vainqueurs la sanglante toison
Arrachée en lambeaux ne leur profitait guère,
Les peaux ont eu leur temps ! Et maintenant, nos guerres,
Nos soucis dévorants, pour cause ont un peu d’or
Et de pourpre. Autre enjeu, crime semblable ! Encor
S’il est des criminels, c’est bien nous qui le sommes :
Aux tortures du froid la nudité des hommes
N’opposait que des peaux ; mais à nous, que nous font
L’or et les beaux dessins figurés sur un fond
De pourpre ? Quel secours en pouvons-nous attendre ?
Un manteau plébéien suffit à nous défendre.
Ainsi l’homme s’épuise et se travaille en vain ;
1500Il use enfin ses jours en des labeurs sans fin.
Son avarice ignore où finit son domaine
Et jusqu’où peut grandir la jouissance humaine.
Erreur qui, loin du port au large le poussant,
A fait surgir du fond tant de flots teints de sang !
Les deux astres gardiens dont les clartés jumelles
Suivent le mouvement des voûtes éternelles
Apprirent aux mortels l’ordre assuré des temps
Et le retour certain des saisons et des ans.

Déjà les tours flanquaient les murailles des villes ;
Déjà la terre était coupée en champs fertiles ;
Et de larges vaisseaux sur la mer déployaient