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UNE NOUVELLE TRADUCTION DE LUCRÈCE


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Chapelain écrit à Bernier : « On dit que le comédien Molière, ami de Chapelle, a traduit la meilleure partie de Lucrèce, prose et vers, et que cela est fort bien, »

La date de cette lettre (25 avril 1662) montre assez que cette traduction avait été faite par Molière en ses années de jeunesse et de loisir. Plus tard, il n’avait pas même le temps indispensable à l’achèvement de ses pièces. De plus, il n’avait traduit que « la meilleure partie de Lucrèce, prose et vers ». M. André Lefèvre a tout traduit, et en vers, et bien traduit, ce qui est encore mieux. Il est vrai que son enthousiasme pour son modèle lui a rendu facile cette entreprise laborieuse ; et nous ne parlons pas, cela va sans dire, de l’admiration du traducteur pour le génie du poète latin : les doctrines même que Lucrèce a professées trouvent dans M. André Lefèvre un ardent panégyriste, et je ne sais même si parfois il ne les exagère pas un peu pour embellir son poète à sa façon.

C’est dire que M. André Lefèvre remplit d’avance la première condition pour bien traduire un grand poète : ce sera une œuvre de conviction, œuvre de parti philosophique si l’on veut ; elle n’en sera que plus vivante, et elle l’est. Le traducteur s’est absolument identifié avec son modèle, et peut-être ne fallait-il pas moins que cette absorption de la personnalité pour lui faire trouver agréable de traduire la physique de Lucrèce. Au reste, le système de M. Lefèvre est excellent et meilleur que celui qu’avait imaginé Molière. Pour les épisodes remarqués, les grands morceaux, ce sera le vers plein, sonore, sans monotonie, que nous avons entendu résonner avec une harmonie si mâle dans les divers recueils de poésie de M. André Lefèvre ; pour les portions beaucoup plus nombreuses et purement scientifiques, ce sera, au contraire, la versification coupée, que M. Lefèvre ne s’est pas interdite ailleurs, mais qui seule, en pareil