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LUCRÈCE. — DE LA NATURE DES CHOSES


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Lucrèce n’est ni un philosophe qui compose des vers pour se distraire, ni un poète qui fait de la philosophie en amateur. Il est à la fois, indivisiblement, poète et philosophe, au même degré, avec la même sincérité, nous dirions volontiers avec le même génie, si nous accordions à sa conception de la vie et de l’univers autant de valeur qu’à son talent d’expression. Quoi qu’il en soit de cette réserve, la vérité qui s’impose à tout esprit sérieux et que nous tenons à mettre en lumière, c’est que l’œuvre de Lucrèce, le célèbre poëme sur la Nature des choses forme un tout qui reflète exactement l’organisation de l’auteur en son intime unité. Il suit de là que ce poème présente à la traduction des difficultés particulières et qui, pour être surmontées, exigent un assez rare concours d’aptitudes.

À parler net, hier encore nous ne possédions point une bonne traduction de Lucrèce. Nous en avons une aujourd’hui, grâce à M. André Lefèvre. C’est un événement littéraire qui a une réelle importance, et qui, même par ce temps d’élections, mérite de ne point passer inaperçu. Nous écarterons, à propos de ce beau et sérieux travail, les considérations relatives à l’opportunité d’une telle publication et les objections que peut soulever la doctrine contenue dans l’œuvre elle-même. Traduire Lucrèce en pleine fièvre de positivisme, lorsque Comte et Darwin sont applaudis comme des oracles, n’est-ce pas, selon la locution populaire, porter du bois à la forêt ? Était-il nécessaire d’aller réveiller ce vaillant combattant des siècles passés, et de le jeter encore une fois dans la mêlée, au grand détriment des esprits indécis et des consciences impressionnables ?

Ceci étant bien entendu, nous ne voyons pas pourquoi M. André Lefèvre, qui partage les opinions du poète latin et qui en sent les beautés, se refuserait la satisfaction honorable, élevée, de nous dé-