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XLIX
PRÉFACE

puissance, est tout moderne. Nous allons en décalquer les grandes lignes, en les réduisant aux proportions qu’il est inutile de dépasser ici. (V, 923-1456).


Lorsque l’homme apparut sur le sein de la terre,
Il était rude encor, rude comme sa mère.
De plus solides os soutenaient son grand corps,
Des muscles plus puissants en tendaient les ressorts.
Peu de chocs entamaient sa vigoureuse écorce ;
Le chaud, le froid, la faim, rien n’abattait sa force.
Des milliers de soleils l’ont vu, nu sous le ciel,
Errer à la façon des bêtes.
 

Les fleuves et les fontaines désaltéraient les hommes et les animaux. Feu, vêtements, huttes même, étaient choses inconnues. Ni société organisée, ni morale, ni lois ; le besoin et la force. L’union passagère des sexes était, ou apaisement brutal du désir, ou soumission à l’impérieuse violence du mâle, ou prix de quelque présent rustique, glands, arbouses, poires sauvages.

Servi par la force prodigieuse de ses mains et de ses pieds, l’homme, avec des traits de pierre, des os, ou de pesants bâtons, poursuivait et abattait les bêtes des forêts. Surpris par la nuit, il se couchait nu sur la terre, s’enveloppant d’herbes et de feuillages ; encore dormait-il d’un sommeil inquiet, exposé à céder sa couche à de terribles hôtes, les sangliers ou les lions. Parfois happé par son ennemi, vivant il se voyait descendre en un tombeau dévorant ; ses gémissements remplissaient les bois et les montagnes. Les blessés se traînaient, ne sachant ce que leur voulait