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LVII
PRÉFACE

et toutes grandes, les portes de la science, de la morale, du grand art. Les lecteurs d’aujourd’hui ont le souffle court ; ils ne savent que butiner dans un recueil. Les anciens savaient concevoir, ils savaient lire et relire. C’est pourquoi leur poésie est solide, durable, majestueuse ; c’est pourquoi la nôtre est fugitive et morcelée. Les anciens louaient Solon et les gnomiques d’appliquer aux idées abstraites une forme précise et vivante. C’est qu’ils savaient que la poésie est une personnification, un anthropomorphisme des idées et des choses ; et nous, nous l’avons oublié. Lucrèce a bien fait, pour eux sinon pour nous, d’écrire en vers la doctrine de l’expérience et les hypothèses fondées sur le savoir du temps.

Comme philosophe, Lucrèce est notre contemporain. Comme poëte, souhaitons qu’il le redevienne ; il faut qu’il le soit.

Et maintenant, comment traduire ce poëte ?

Comment traduire les poëtes ? La question peut sembler épuisée, mais elle n’est pas résolue. Les uns, comme Voltaire, excluent la traduction en prose ; les autres, et parmi eux le plus récent interprète de Lucrèce, excluent la traduction en vers. M. Ernest Lavigne la qualifie « d’effort téméraire et illusoire » ; et il cite comme modèle du genre les Géorgiques de Delille. En vérité, il n’est pas difficile, et c’est ce qui le rend dédaigneux. Pour nous, notre réponse sera aussi nette que conciliante.

On doit traduire en prose ; on peut traduire en vers : c’est permis et c’est possible.