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LIVRE PREMIER

La terre ne saurait féconder ses richesses.
Comment pourraient alors se fonder les espèces,
Si, faute d’aliments, les vivants étaient morts ?

Loin donc de refuser des éléments aux corps,
Avouons qu’il en est par milliers dans les êtres,
Souvent communs à tous ainsi qu’aux mots les lettres.
Mais si le sol jamais n’enfanta de géants
Qui puissent d’un seul pas franchir les océans,
Disperser de leurs mains les monts dans les nuages,
220Et vivre par delà les limites des âges,
C’est donc que chaque forme a ses germes distincts,
Qui règlent sa croissance et bornent ses destins.
Rien donc ne naît de rien, puisque rien ne commence,
Puisque rien ne s’accroît, sans force et sans semence.

Enfin, si nos travaux fécondent l’univers,
Si chaque jour les champs gagnent sur les déserts,
C’est que le sol contient les principes de vie
Que la charrue arrache à la terre asservie.
Autrement, à quoi bon ce labeur obstiné ?
Toute chose bien mieux, d’un effort spontané,
À la perfection atteindrait sans culture.

Établissons encor ceci, que la Nature
Rend à leurs éléments les corps qu’elle dissout.
Tout meurt, rien ne périt. Si la mort prenait tout,
La forme brusquement s’en irait tout entière,
Sans qu’un travail, minant les groupes de matière,
Eût préparé leurs nœuds au divorce mortel.